Bilan d’étape du Réseau Education Sans Frontières
Certainement moins médiatique que l’an passé, lorsque de nombreuses personnalités s’étaient publiquement engagées à ses côtés, le Réseau Education Sans Frontières continue de lutter au quotidien contre les expulsions d’enfants de sans-papiers scolarisés. Le mouvement qui doit faire face à un durcissement politique a cependant gagné en structuration et en militants fidèles.
Créé en août 2004 par des enseignants, des éducateurs, des parents d’élèves, des syndicalistes et des associatifs pour répondre aux expulsions de plus en plus nombreuses, le Réseau Education Sans Frontières regroupe à ce jour près de 200 organisations. En 2005, les actions du collectif commencent à être relayées par les médias nationaux notamment lors de plusieurs mobilisations victorieuses qui permettent d’éviter de justesse l’expulsion de lycéens. Des comédiens, des réalisateurs et plusieurs personnalités politiques affichent publiquement leur soutien tandis que des magistrats s’engagent par le biais du Syndicat de la Magistrature. Tout ce petit monde offre progressivement au Réseau Education Sans Frontières une présence à tous les étages… Oui mais quid de ce réseau qui aujourd’hui a moins la faveur de la presse ? Début de réponse…
Une structure qui se cherche
Sur la porte blindée du local, l’affichette artisanale qui signale la présence de RESF possède une fraîcheur toute particulière, quelque peu en décalage avec l’image médiatisée d’un réseau très structuré. Toutefois, le nouveau QG, un des premiers qui soit propre à un comité local de RESF, fait la fierté des militants du comité Paris Nord-Ouest qui y voient un précieux lieu de passage et de partage. « Nous sommes là avant tout pour créer du lien social », explique Marie-Cécile Plà, membre du comité local, engagée dans le mouvement depuis la création du collectif en 2004. « On n’observe pas d’évolution majeure depuis l’an dernier. C’est toujours la loterie. A dossier égal, un sans-papier est régularisé, l’autre non. Par contre, de notre côté, de nouvelles populations se font connaître : la surprise de l’été 2005 c’était la vague de familles chinoises qui sortaient de l’ombre, aujourd’hui nous avons à faire avec d’autres parcours plus variés, des familles originaires d’Europe de l’Est ou d’Amérique du Sud. Ces dernières, on les remarque moins dans la rue. »
Pour se faire entendre, les moyens d’action varient selon les cas et selon les préférences de chaque comité local (au nombre difficilement évaluable aujourd’hui) : aide à la constitution de dossier, accompagnement en préfecture, harcèlement des décideurs par différents moyens de communication, rassemblements, projections de films et parfois, quelques actions un peu plus médiatiques (voir encadré).
Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la république, certains comités cherchent de nouveaux moyens de sécuriser les familles qui risquent l’expulsion en organisant notamment des parrainages citoyens et en faisant intervenir des élus locaux dans les procédures de régularisation. Le comité Paris Nord-Ouest semble quant à lui plus réticent : « les familles espèrent trop de ces parrainages, nous ne voulons pas leur donner trop d’espoir », confie Marie-Cécile.
Cependant, ici comme ailleurs, les militants savent qu’ils doivent innover et se renouveler pour permettre au mouvement de durer au point de cultiver une certaine originalité : « RESF, j’appelle ça le machin car c’est une structure qui se cherche en permanence. Nous essayons de construire autre chose car nous voyons bien que les organisations traditionnelles connaissent un essoufflement important. Chez nous, pas de rapport hiérarchique, ni de porte-parole attitré, nous sommes tous sur un pied d’égalité, tous acteurs de ce laboratoire d’expérience ».
La violence des mots contre la violence des faits
Selon le comité Paris Nord-Ouest implanté dans le 18ème arrondissement, les arrestations ne cessent d’augmenter : « des mini-rafles, tout le temps ! La police reste un quart d’heure à un endroit, embarque quelques personnes puis file dans un autre quartier afin que les esprits ne s’agitent pas trop », s’offusque Marie-Cécile. Dans les médias et notamment sur Internet cette réalité semble faire débat : peut-on parler de « rafles » et invoquer à titre comparatif certaines périodes sombres de l’Histoire ? Dans les faits, la politique des quotas se poursuit et Brice Hortefeux à la tête du nouveau ministère pêle-mêle de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité Nationale et de la Coopération, vient d’annoncer son objectif d’éloigner 25 000 sans-papiers d’ici à la fin 2007.
En parallèle, les poursuites à l’encontre de militants du Réseau Education Sans Frontières se font de plus en plus nombreuses. « Heureusement, le regard des gens commence à changer, confie Marie-Cécile. Les sans-papiers ne sont plus aussi facilement assimilés à des délinquants. L’opinion publique se rend progressivement compte que ces derniers ne leur piquent pas leur travail, que leurs enfants fréquentent les mêmes écoles et qu’ils n’ont souvent aucune attache dans leur pays d’origine. On a au moins gagné sur ce plan ! » Le combat continue donc avec pour prochaine échéance une mobilisation nationale le 1er juillet, jour de lancement de la Veille d’été visant à palier aux difficultés liées à la fermeture des écoles pendant les vacances.
Plus d’informations sur le site : http://www.educationsansfrontieres.org
Trois questions à Lilian Mathieu* Place Publique : Les modes d’actions employés par le Réseau Education Sans Frontière sont-ils d’un genre nouveau ? P.P. : Qui sont les militants du Réseau Education Sans Frontières ? P.P. : Cette façon de s’engager se fait-elle sans visée politique large ? Correspond-t-elle à une vision de l’engagement comme acte ponctuel et localisé uniquement sur un espace proche (l’école, le quartier) ? *Chercheur au Centre de Recherches Politiques de la Sorbonne et auteur de « Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux » (Textuel, 2004) et de « La double-peine : histoire d’une lutte inachevée » (La Dispute, 2006) |