Si le ferroviaire se détourne de l’environnement…
Pour réduire son principal foyer de pertes, la SNCF se désengage du trafic diffus des wagons de marchandises, alors que le Grenelle de l’environnement préconise un transfert du fret routier sur le chemin de fer.
Avec la crise, certaines des conclusions du Grenelle de l’environnement vont-elles passer à la trappe ? On se souvient que, pour réduire les émissions de CO2 dans les transports, le gouvernement s’était engagé à privilégier les modes de transports les moins polluants comme, pour les marchandises, le transport fluvial et le ferroviaire. Avec comme objectif, pour le ferroviaire, de favoriser le transfert de 25% du routier sur le chemin de fer.
Des engagements financiers…
En annonçant 7 milliards d’euros d’investissements d’ici à 2020 dans les infrastructures ferroviaires, l’engagement ne semble pas être oublié. D’autant que, dans le cadre de cette reconquête du fret, la SNCF a annoncé qu’elle investirait avant 2015 un milliard d’euros supplémentaires.
Les autoroutes ferroviaires (technique qui consiste à transporter des camions et leurs marchandises sur des trains, pour leur éviter d’emprunter l’autoroute) et des TGV fret (sur des liaisons rapides entre grands aéroports européens pour diminuer le fret aérien) devraient profiter de ce soutien. Tout ceci s’ajoutant normalement, pour les infrastructures, aux investissements programmés dans le contrat de performance signé entre l’Etat et Réseau Ferré de France (RFF) : le gestionnaire du réseau de chemin de fer prévoit 7,3 milliards d’euros d’investissements d’ici à 2012 (et 13 milliards d’ici à 2015) sur le réseau existant (réhabilitation de voies et de modernisation d’équipements).
… mais un recul de la SNCF
Pourtant, on peut craindre qu’il en faille beaucoup plus pour atteindre les objectifs du Grenelle de l’environnement. Car d’autres dispositions prises par la SNCF vont dans le sens contraire. Pour s’attaquer au déficit chronique et gigantesque de cette activité qui, au premier semestre 2009, a généré 65% des pertes de l’entreprise (496 millions d’euros) alors qu’elle ne représente que 6% du chiffre d’affaires, la direction a décidé de concentrer les efforts sur les trafics les plus rentables.
La priorité est donc donnée aux transports de trains complets sur longues distances, sur des lignes à forts trafics, reliant par exemple de grands centres logistiques (comme les ports) aux grands centres de production ou de consommation. Mais pour ce qui concerne le trafic des wagons isolés, c’est terminé : la SNCF prévoit de se retirer, des opérateurs ferroviaires de proximité devront prendre le relai.
Une stratégie alternative virtuelle
Cette stratégie pose plusieurs questions. D’abord, à ce jour, les fameux opérateurs de proximité n’existent pas ou seulement au stade expérimental. La SNCF a promis qu’elle favoriserait leur émergence. Mais il faudra que d’autres acteurs se lancent aussi dans l’aventure – industriels, collectivités locales… – et la conjoncture économique ne s’y prête pas.
Ensuite ce trafic diffus, s’il n’est pas rentable pour la SNCF, n’est pas négligeable en volume. Il représente aujourd’hui la moitié des facturations dans le fret, mais les trois quarts des pertes. Si les cheminots n’en assurent plus la gestion, le transfert de ces trafics sur la route ne saurait tarder. Ce qui est totalement à l’opposé des engagements pris.
Le mouvement est déjà enclenché. L’entreprise ferroviaire n’hésite pas à utiliser les camions de ses filiales routières lorsqu’ils sont plus compétitifs que les wagons. Au point que les clients du transport qui gèrent des entrepôts ne prévoient plus, aujourd’hui, de branchements ferroviaires. Difficile, dans ces conditions, d’envisager une nouvelle ère pour les trains de marchandises.
Enfin, si ces trafics diffus ne convergent plus vers les gares de triages pour venir grossir les trains qui circulent sur les grandes lignes du fret, ne va-t-il pas y avoir une désaffection plus générale pour le transport ferroviaire ?
Logique concurrentielle
C’est une question qui se pose, mais qui n’est pas prioritaire pour la SNCF. Avant tout, elle doit régler son problème de déficit chronique dans le fret, ce qui passe par l’amputation d’une activité structurellement en perte. Surtout que, après la déréglementation des transports ferroviaires de marchandises entre 2003 et 2006, c’est maintenant le transport de voyageurs qui va être ouvert à la concurrence, progressivement, à partir de l’an prochain.
Si la SNCF veut rester performante, elle ne pourra plus se permettre de procéder à des péréquations internes, le transport de voyageurs subventionnant peu ou prou le transport de marchandises en assumant seul, par exemple, certaines dépenses de fonctionnement. Ces temps sont révolus. En plus, la SNCF doit au moins équilibrer ses résultats. D’où la chirurgie opérée sur le fret.
En outre, les pouvoirs publics manquent de cohérence. Ils souhaitent soutenir le transport ferroviaire, mais vont permettre aux transporteurs routiers (comme les agriculteurs et les marins pêcheurs) de récupérer une partie de la taxe carbone… alors que celle-ci a pour vocation de réduire les émissions de CO2. Ainsi, en intervenant pour sauvegarder la compétitivité du transport routier, ils tournent le dos à leurs objectifs initiaux à l’égard du chemin de fer.
Un TGV fret sur les rails
Reste les grands dossiers des autoroutes ferroviaires et du TGV Fret. Les premières n’ont pour l’instant fait la démonstration de leur efficacité économique. La liaison qui traverse la France de la frontière espagnole à la frontière luxembourgeoise n’a pas atteint ses objectifs, loin s’en faut. Quant au TGV fret, c’est un concept aujourd’hui bien défini grâce au projet Carex (Cargo Rail Express) qui existe déjà, à l’échelon européen, à l’initiative de transporteur aériens de fret confrontés aux difficultés de plus en plus grandes pour exploiter des vols de nuit.
Ce projet prévoit de relier les grands aéroports européens situés à des distances comprises entre 300 et 800 km (de 2 à 3 heures de trajet), en exploitant des rames spécifiquement adaptées. Le fret serait acheminé dans des rames spéciales de 140 tonnes de charge utile, soit l’équivalent de sept A320. Ainsi, pour un tonnage équivalent, les émissions de CO2 seraient-elle 17 fois plus basses par chemin de fer que par la voie aérienne.
Les liaisons s’effectueraient dans un premier temps entre Roissy Charles de Gaulle, Lyon Saint-Exupéry, Lille Lesquin, Londres, Amsterdam, Liège et Cologne. Plus tard, il est prévu de connecter Bordeaux, Marseille, Strasbourg et Francfort. Et même, encore plus tard, Berlin, Milan et Bologne, Madrid et Barcelone. L’exploitation de ces TGV fret devrait commencer en 2012.