Neurosciences: quelles régulations pour quelle éthique?
Les neurosciences soulèvent de nombreuses questions éthiques et sont sur le devant de la scène alors qu’est en préparation la révision de la loi de bioéthique de 2004. Auront-elles leur place dans le nouveau cadre législatif ?
L’usage des neurosciences prend une nouvelle dimension avec les possibilités offertes d’amélioration des performances notamment cognitives, sensorielles et l’utilisation de l‘imagerie cérébrale…Elles continuent d’engendrer inquiétudes et fantasmes compte tenu des progrès réalisés ces dernières années et de leurs impacts sur toutes les sphères de la vie sociale. Comme le souligne la note de veille du Centre d’analyse stratégique de mars dernier (1)- les neurosciences dépassent « les barrières traditionnelles en pénétrant souvent le champ des sciences humaines ». Devenu sujet de société, ce domaine de recherche suscite de vrais questionnements éthiques et implique une régulation.
Ceux-ci sont de plusieurs ordres. Les plus évidents concernent l’expérimentation et certaines techniques comme les implants cérébraux pour lesquels – outre les risques liés à leur utilisation, émergent des préoccupations sur « les répercussions psychologiques sur la perception du corps humain et de sa relation à son environnement».
Mais les réflexions éthiques portent également sur les avancées des neurosciences et leur utilisation dans « des logiques sociétales de course à la performance, à la certitude ou à la demande sécuritaire ». Puisque les progrès en cours ouvrent des possibilités d’amélioration des performances cognitives, motrices et sensorielles.
Mises au point pour rétablir les capacités de personnes malades, certaines techniques pourraient être détournées à des fins non thérapeutiques. D’aucuns voient dans les implants cérébraux un moyen de parvenir à l’homme « augmenté » en renforçant ses capacités cérébrales et ses performances, comme le suggèrent les transhumanistes.
Une nouvelle conception de la normalité
Ces réflexions inhérentes à tout progrès scientifiques sont particulièrement sensibles dans le domaine des neurosciences où l’on touche rapidement à des questions de respect de l’identité et de l’intégrité personnelles. Pour ce qui du « cerveau », la frontière entre « soigner » et « augmenter » pourrait s’avérer d’autant plus difficile à établir qu’émergerait progressivement une nouvelle conception de la « normalité » – dotée de capacité augmentée- au risque de créer une société à deux vitesses – ceux qui auraient les moyens d’y avoir accès et les autres, sous la pression de la quête d’une performance toujours accrue.
De même l’utilisation des techniques d’imagerie cérébrale – qui est sortie depuis longtemps déjà des laboratoires- représente une des premières illustrations des neurosciences dans un cadre sociétal. Or justement à l’aune des connaissances acquises, ces images sont susceptibles d’être sur interprétées ou détournées.
Etablir des liens entre les cartes fonctionnelles de l’activité cérébrale et le comportement de certains individus a commencé à être utilisé dans le domaine judiciaire, avec le risque d’accorder une vérité scientifique à l’imagerie cérébrale, « alors qu’elle ne permet pas aujourd’hui », comme le rappelle Olivier Oullier, maître de conférences en neurophysiologie au laboratoire de neurobiologie humaine de l’université de Provence-CNRS et chercheur (2), « pas plus que de prédire le comportement humain, ni de sonder le contenu de la pensée ». D’où les dangers de tenter d’identifier des aires cérébrales impliquées dans l’apparition de comportements déviants, avec le risque évident de classifier ensuite des comportements, sur une base statistique.
Consommateurs ou citoyens, nouvelles cibles
Bien souvent les images cérébrales laissent croire qu’on a accès à la pensée, or si des émotions ou actions peuvent être visualisées, c’est dans un contexte particulier où le sujet est relativement « isolé ». Mieux comprendre le cerveau pour mieux comprendre les mécanismes de décision du consommateur, le marketing s’est très vite saisi des possibilités ouvertes par la neuroimagerie, on parle de neuromarketing. On peut craindre l’utilisation des neurosciences dans des techniques de manipulations à des fins commerciales et prédictives des consommateurs.
Alors si les neurosciences permettent de mieux appréhender le rôle des émotions dans les processus de mémorisation et de prise de décision, pourquoi ne pas y avoir recours à des fins plus positives ? Par exemple dans le cadre de politiques publiques de prévention- santé, comme l’a abordé un récent séminaire autour de trois exemples comme la lutte contre l’épidémie d’obésité et de surpoids ; et la prévention des empoisonnements et intoxications accidentels dus aux produits chimiques domestiques dont les emballages peuvent induire une confusion et la lutte contre le tabagisme et l’impact des images « choc » sur le cerveau des fumeurs. Toutefois une utilisation même plus positive ne doit pas masquer les risques de dérives qui reviendraient à utiliser la neuroimagerie pour orienter les décisions des citoyens.
Dernier domaine, celui de la protection des données liées aux neurosciences, vis-à-vis de cabinets de recrutement, d’employeurs, de compagnies d’assurance… qui pourraient vouloir ainsi les utiliser dans le cadre de sélection de « bons candidats » ou de « clients à moindre risque » . Or la collecte d’informations et son analyse est utile et nécessaire à la science mais ne doit pas être détournée.
Dépasser l’aspect technique
Le débat éthique doit sans doute aussi dépasser le seul aspect « technique » des nouveaux développement des neurosciences « pour s’interroger sur l’évolution engendrée par les neurosciences en terme de représentations comme sujet cérébral de l’être humain dans sa relation au monde » comme le souligne cette note de veille, intégrant ainsi toutes les notions complexes de la vie en société.
La neuroéthique qui viendrait à mettre un peu d’ordre dans tout cela ne doit donc pas être un arbre qui cache la forêt et se tromper d’enjeux.
En France à la veille de la préparation sur la loi bioéthique, les institutions (3) saisies par le gouvernement sur la question, semblent aller vers l’extension de la loi bioéthique aux neurosciences, mais au-delà , on pourrait envisager des dispositions propres quant à la régulation de l’utilisation de la neuroimagerie dans le code du travail, code la santé publique , code des assurances ou encore étendre le champ de compétences de la Cnil pour veiller sur les données de la neuroimagerie et de la neuroinformatique ….comme le suggère la note du Centre d’analyse stratégique.
Sachant toutefois que la règlementation et la loi ne peuvent répondre à toutes les exigences éthiques et qu’une sensibilisation des citoyens est nécessaire, c’est pourquoi le débat sur les neurosciences doit leur être ouverts.
(1) note de veille 128, mars 2009, réalisée par Sarah Sauneron
(2) animateur du site www.neureconomine.fr
(3) Conseil d’Etat, Agence de Biomédecine, Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, Comité consultatif national d’éthique