Les jeunes Français sont pessimistes
Le système éducatif français se distingue par une absence de droit à l’erreur et une stratégie de l’échec qui porte atteinte à l’estime de soi
Selon un sondage réalisé par la Fondation pour l’innovation politique, seuls 26% des Français de 16 à 29 ans jugent leur avenir prometteur, contre 60% des Danois ou 54% des Américains du même âge ou même 36% en Allemagne. D’autres chiffres montrent qu’en France, 45% des pauvres sont des jeunes.
La jeunesse française ( avec la jeunesse grecque) est la tranche de population qui cumule le plus de chômage et de précarité.
En un an, le chômage des jeunes a accusé un bond de 32 %. Entre 170 000 et 220 000 jeunes de plus pourraient , d’ici fin 2010, se retrouver au Pôle emploi. Mais, le plus souvent, ils sont privés, des minima sociaux car ils ne remplissent pas les critères d’allocation.
Plus de 25% occupent un emploi précaire (intérim, CDD) contre une moyenne nationale de 10,5%.
Aujourd’hui, seuls 48% des emplois non qualifiés sont effectués par des sans diplômes, contre 83% hier. (Sources CEPREMAP. « Une jeunesse difficile ») Cette situation, ajoutée aux difficultés qu’éprouvent les jeunes dans l’enseignement supérieur, rend le climat explosif.
L’insertion dans l’emploi, hier réservée aux 20-25 ans, se décale désormais dans le temps, parfois jusqu’à l’âge de 32 ans. Un pourcentage invité à réfléchir, le suicide des jeunes. Il est en France l’un des plus élevés du monde et ne cesse de croître. Depuis longtemps, les sociologues et les économistes soulignent que « la jeunesse est en première ligne des ruptures qui ont accompagné les mutations de la société.
Cécile Van de Velde, du Centre de recherche en économie et statistique (Crest), juge que cette profonde inquiétude de la jeunesse trouve ses racines à la fois dans un système scolaire et un marché de l’emploi caractérisé par la centralité des études et l’absence de droit à l’erreur. Les jeunes français se distinguent par l’intériorisation très forte du diplôme sur l’ensemble de leur trajectoire, par une pression sociale au classement avant 25 ans. Cette pression explique beaucoup de leurs caractéristiques à la fois sociales et familiales. La crise économique actuelle pourrait compliquer la situation, redoute la sociologue.
En comparant le parcours des jeunes dans plusieurs pays d’Europe, cette dernière souligne , dans un livre (« Devenir adulte ». Editions PUF), que la France brille par son absence de choix politique pour la jeunesse. C’est tout le contraire dans les pays scandinaves qui, en octroyant aux jeunes les conditions de leur autonomie et en les aidant financièrement, leur donne une confiance en l’avenir.
Au Royaume Uni, les jeunes évoluent dans une logique d’émancipation individuelle. Le statut d’indépendance est fortement valorisé. Au Danemark, « le modèle social pourrait se retrouver à grand trait dans l’expression : « se trouver » c’est à dire au sein de parcours de jeunesse liés au vécu, à une démarche exploratoire »,affirme Cécile Van de Velde. Les jeunes français , eux, vivent dans une société corporatiste qui stratifie les rangs sociaux, dévalorise l’université et survalorise le système des écoles d’ingénieurs, de commerce et Grandes Ecoles.
Dans une interview publiée par le quotidien Libération, Cécile Van de Velde estime qu’en France « Il faut favoriser une plus grande mobilité et desserrer cette surdétermination précoce par le diplôme. On devrait donc privilégier les aides directes (quelle que soit leur forme), cesser les politiques de seuils d’âge qui ferment les possibilités d’allers-retours entre formation et travail, et ne plus valoriser uniquement les diplômes de formation initiale. »
« Les jeunes Français ont ils raison d’avoir peur ? » interroge le sociologue Olivier Galland . Lors d’une audition au Sénat le 31 mars 2009, ce dernier constate que les jeunes Français figurent parmi les plus pessimistes de tous les jeunes européens. Il souligne que les jeunes français sont, en Europe, les moins nombreux à penser qu’ils ont la maîtrise de leur destin.
Il fait observer que le malaise de la jeunesse apparait comme « un révélateur de la crise institutionnelle et culturelle du système méritocratique à la française ». Il précise que « l’élitisme républicain », qui correspond à la sélection des meilleurs en fonction de leurs talents et de leurs efforts, ne fonctionne plus dans une école de masse qui doit désormais gérer des publics très divers.
Finalement, ce modèle conduit à « une vision dichotomique de la réussite qui procède par élimination à chaque palier essentiel d’orientation ». Cela aboutit non seulement à un taux d’échec particulièrement élevé, puisque 20 % des jeunes sortent du système scolaire sans diplôme, mais aussi à un niveau d’acquis scolaires assez faible.
Olivier Galland déplore également que « le système éducatif français produise ainsi trop de découragement et porte atteinte à « l’estime de soi » selon un processus qui s’amplifie au cours de la scolarité », l’orientation fonctionnant en réalité comme une sélection par l’échec. Il ajoute que le système repose sur « la fiction d’un élève autonome et responsable alors qu’il conviendrait précisément de susciter l’autonomie plutôt que de la présupposer. »
Répondant à une question concernant le nombre important de structures destinées aux jeunes en matière d’information, d’orientation ou d’insertion, le sociologue rappelle que la période de la jeunesse est un ajustement entre aspirations et statut.
Dans ce cadre, il conclut qu’il est important de favoriser une politique d’information et d’accompagnement. Cette politique doit concerner tous les jeunes. Les questions d’orientation doivent prendre en compte tous les aspects interdépendants de la vie des jeunes : formation, santé, logement, voyages…