On pourrait découper en trois grandes phases l’histoire de la croissance du réseau des réseaux qu’est devenu Internet durant ces quarante dernières années. D’abord banc d’essai de l’armée américaine sous le nom d’Arpanet, il est devenu Usenet, avec l’engouement extraordinaire des universités et des chercheurs comme outil de propagation des connaissances. Puis Usenet s’est transformé en Internet

Devenu Internet, il a gagné à la fin des années 1980 son statut de grand vecteur du commerce électronique avant de devenir un outil exceptionnel pour le développement des réseaux sociaux et du progrès économique et social.

Durant cette époque toujours, les observations sur les effets de la diffusion d’Internet ont montré combien il brouillait nos références socioéconomiques traditionnelles, comme notre rapport à l’espace, au temps, à l’accès aux savoirs. Mais, curieusement, les études économétriques, sans doute pour cause de déficit épistémologique et de méthodes adaptées, sont restées rares et fragmentées. Ceci dit, les études plus ou moins empiriques n’ont pas manqué. D’abord pour souligner l’extraordinaire rapidité de son emprise sur nos vies et de sa croissance. Je me souviens des mines incrédules de mes interlocuteurs lorsqu’au début des années 90, j’affirmais qu’avant la fin de la décennie, l’équivalent de la population américaine et européenne serait sur le réseau Internet.

Au début des années 2000, je pronostiquais le milliard et demi pour 2010, je me suis trompé… Nous en sommes déjà à deux milliards et l’avenir nous prédit plus de deux milliards supplémentaires avant la fin de l’actuelle décennie. Un marché fabuleux, un cybermonde riche de potentiels. Durant vingt années folles (1980/2000), les effets systémiques de l’Internet ont apporté des gains d’efficacité et de productivité spectaculaires. Nos ingénieurs et nos gestionnaires n’avaient en ces temps là qu’une idée en tête : « comment faire des gains de productivité » grâce à ces NTIC ? La réduction des coûts d’intermédiation grâce aux réseaux systémiques était, il est vrai, proprement fabuleuse.

C’était l’époque où l’engouement pour le reengineering était dans la bouche de tous les états-majors et des directions de l’organisation et de l’informatique. Sa mise en œuvre expliquera le bond de la productivité américaine à l’époque. Dans les années 90 nous avons gagné entre 1,5 et 2% du PIB par l’effet de la réduction des coûts de stockage et des économies sur les immobilisations financières.

En 1996, j’insistais sur le risque d’une approche uniquement productiviste des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Les études économétriques dédiées à la progression de la netéconomie restaient, nous semblait-il, très pauvres en dehors de celles que nous avions dénichées aux Etats Unis. En 2000, Eurotechnopolis Institut avait publié quelques travaux notamment américains qui illustraient tout à fait la diversité des apports économiques de l’Internet. Pour être honnête, nous n’avions pas l’impression que notre message était correctement reçu et appréhendé par les pouvoirs publics. C’est la raison pour laquelle nous avions tenté une première estimation de la valeur ajoutée globale créée par Internet résumé dans « Netbrain, les batailles des Nations Savantes ».

Que disions-nous ? Que l’Internet était la base du nouveau cycle schumpétérien destruction/création d’activités. Qu’il était le nouveau monde numérique où nous devions investir en force afin d’y prendre les bonnes places. Un monde virtuel où les taux de croissance étaient en moyenne de 30% par an pour la création de richesses, d’emplois, d’entreprises nouvelles, d’accès à des marchés nouveaux. En 2006, avec l’aide de Gérard Blanc, nous avions conclu que l’Internet était déjà la sixième puissance économique mondiale[1]. Et, à la question « quelle sera la puissance économique majeure de ces prochaines années ? » nous répondions, ce ne sera pas l’Inde, ce ne sera pas la Chine ; ce sera Internet qui sera la première puissance économique mondiale à la fin de cette décennie.

Aussi est-ce un grand bonheur de prendre connaissance des travaux de McKinsey qui concluent à ce qu’Internet contribue à 25% de la croissance française ainsi qu’a la croissance spectaculaire des emplois (4% de la population active) dans les entreprises de la génération des web services, le tout représentant jusqu’à 3,2% du PIB français. McKinsey confirme aussi des gains de marge supplémentaires et la plus forte présence à l’exportation des entreprises ayant le mieux intégré les Tics dans leur développement. Dans ce constat, je retrouve les conclusions de nos travaux des années 90/2000. Par contre, on peut regretter que les économies indirectes sur la consommation d’énergie et les retombées de l’économie d’atmosphère qui influencent durablement les régions irriguées par la Toile soient moins visibles. Mais, petit à petit les instruments d’analyses spécifiques à la croissance et à l’impact de l’Internet se mettent en place.

En 2009, Gary Hayes, directeur de l’Australian Laboratory for Advanced Media Production (LAMP), a eu l’idée et surtout a su réaliser une matrice qui donne en temps réel les évolutions des utilisations des réseaux sociaux dans le monde. Impressionnant. On retrouve l’idée de la santé de la planète mis au point avec Earth Clock adaptée à la croissance de la planète numérique. Chaque fois qu’un visiteur clique sur la page d’accueil de Gary Hayes, il voit défiler en temps réel, la croissance des principaux échanges dans les réseaux sociaux. Reste que l’utilisation stratégique des capacités potentielles des NTIC reste encore très méconnue malgré des ouvrages précurseurs comme celui de Charles Wiseman[2] en 1987 qui, en reprenant la grille de Porter des avantages comparatifs, démontrait les énormes capacités des réseaux informatiques à changer les rapports de forces entre entreprises… et entre pays! Car, si McKinsey montre que les entreprises ayant bien intégré les Tics dans leurs stratégies sont celles qui dégagent les meilleurs résultats économiques, cela vaut pour une ville, une région, mais aussi pour un pays.

[1] http://www.ettighoffer.com/fr/etudes/Donnees-economiques-Netbrain
[2] L’Informatique stratégique, nouvel atout de la compétitivité » Editions d’Organisation (1987)

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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