Concurrence exacerbée des organismes de prêt, taux d’intérêt intenables pour les emprunteurs, absence de normes : en Inde, la microfinance connaît une crise majeure.

En octobre 2010, L’Etat de l’Andhra Pradesh, où se concentre une partie substantielle des quelque 80 millions de micro-emprunteurs indiens et un tiers du marché de la microfinance du pays, est contraint de prendre des mesures inédites afin de réguler un marché au bord du krach. Les organismes de microcrédit se voient imposer des calendriers de prélèvements mensuels et non plus hebdomadaires. Les remboursements devront désormais s’opérer dans des lieux publics afin d’éviter toute pression sur les débiteurs. Le gouvernement de l’Andhra Pradesh a en outre sommé les organismes de cesser leur activité tant qu’ils ne se seraient pas pliés à des procédures d’enregistrement en bonne et due forme.

Des prêts tous azimuts

De fait, en quelques années le taux de remboursement des emprunteurs a littéralement fondu et les banquiers ont fini par fermer les robinets. En cause : une inflation tous azimuts des prêts, accordés sans critères ni discernement, entraînant la multiplication des situations de multi-emprunt par des bénéficiaires rapidement surendettés. Une situation que les observateurs locaux n’ont pas manqué de comparer, dans les mécanismes induits, à la crise des subprimes.

Comment en est-on arrivé là ? La puissance de rendement du microcrédit n’a pas échappé à certains fonds spéculatifs, qui se sont empressés d’encourager
la prolifération des sociétés de microfinance. Si les plus grosses sont placées sous le contrôle de la banque centrale, la grande majorité échappe à toute régulation. Résultat : chaos concurrentiel et surenchère commerciale de la part des acteurs du marché, contraints, pour assurer leur croissance, puis leur survie, de prêter à tout va, avec des taux d’intérêts dépassant les 25%, voire les 30%. Intenable pour les emprunteurs. Porté par cette spirale d’agressivité commerciale, le microcrédit a massivement migré vers une logique de crédit courant à la consommation. Oubliés, les principes fondateurs d’un modèle conçu pour accompagner l’émancipation sociale les plus pauvres.

Logiques boursières

Du côté des organismes incriminés, on justifie les pratiques lucratives par la loi du marché : pour répondre aux besoins de dizaines de millions de pauvres, il faut pouvoir disposer de fonds conséquents, donc lever des capitaux. Pour lever des capitaux, il faut s’introduire en Bourse. Pour s’introduire en Bourse, il faut gagner beaucoup d’argent.
Le microcrédit indien pourrait-il s’effondrer, comme ne l’exclut pas le
président du réseau des institutions de microfinance en Inde ? La plupart des acteurs et observateurs du secteur se veulent plutôt rassurants. La crise est actée, ses causes sont identifiées, des mesures de redressement vont être prises.

Quant à la perspective d’une fermeture complète du système de microfinance dans l’Etat de l’Andhra Pradesh, elle apparaît plus que dangereuse. L’arrêt des robinets signerait le retour des usuriers, ceux-là mêmes qui ont creusé l’endettement d’une partie non négligeable de la population indienne durant plusieurs décennies.

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Au sujet de Muriel Jaouën

Journaliste de formation (ESJ Lille, 1990), Muriel Jaouën publie régulièrement dans le magazine de Place-Publique. Ses spécialités : économie sociale, développement durable, marketing, communication, organisations, management.

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