Festifs ou artistiques, futiles ou politiques, les regroupement collectifs éphémères se multiplient dans les villes. A grand renfort de réseaux sociaux.
De la traditionnelle “manif” syndicale ou politique au flash mob et à ses dérivés en vogue dans les grandes villes d’Europe et d’outre-Atlantique, en passant par les fêtes de rues à Londres et dans les cités britanniques, les modes d’occupation collective de l’espace public se sont sensiblement diversifiés au fil de la décennie passée. Mieux : ils ont donné naissance à des groupes et des mouvements identifiés, dont les motivations et les finalités peuvent être sociales, politiques, artistiques, ou tout cela à la fois. Avec, au-delà des divergences d’approche et de visée, un faisceau de déterminants orientés vers le concept de “rue libre”.
Collectif et citoyenneté
Primo, ces pratiques traduisent une réappropriation “communautaire” des espaces publics. Elles expriment une volonté collective, l’appartenance revendiquée à un même groupe, un ralliement à une aspiration commune – même ponctuelle-, l’adhésion à une idée, voire à un slogan.
Deuzio, ces actions de réappropriation relèvent de la stricte strate citoyenne et échappent dans leur organisation aux pouvoirs publics, qui tout au plus les tolèrent. L’autorité institutionnelle peut surveiller les rassemblements, les réguler, voire les dissoudre, mais elle ne participe jamais à leur émergence et ne les encourage surtout pas.
Activisme festif
Dans les années 90, en Angleterre le groupe d’action Reclaim The Streets, engagé contre la “privatisation des espaces publics” provoque un carambolage factice au beau milieu d’un carrefour de Londres. Des militants en profitent pour sonoriser le lieu, installer un café éphémère et faire la fête autour des véhicules immobilisés. Ce sera le coup d’envoi du mouvement des fêtes de rue qui va se déployer outre-Manche. Un activisme festif, pacifique, souvent nourri d’humour et se soldant parfois par quelques vifs échanges avec la police.
D’autres formes d’appropriation des espaces publics vont ensuite fleurir, dont les plus connus restent les flash mobs, regroupements en un même lieu de personnes averties en quelques minutes via les réseaux sociaux.
Les flash mobs se sont très vite inscrits dans une course à la taille. Leur finalité est en effet moins dans l’objet de la rencontre (quand objet il y a, ce qui n’est pas toujours le cas), que dans une dimension d’exploit. L’espace public, ici, n’a pas d’autre fonction qu’un rôle d’accueil du plus grand nombre. En septembre 2009, plus de 20 000 personnes se sont ainsi retrouvées en quelques dizaines de minutes pour danser sur Michigan Avenue à Chicago. Critiqués pour leur futilité, les flash mobs sont assez vite passés de mode, entachés de récupération par des marques commerciales.
Contre-sommets
Est apparue une version plus politique des flash mobs : les smart mobs, manifestations organisées à proximité des événements institutionnels et des sommets internationaux. Il s’agit de lancer des contre-sommets ou des contre-événements, en créant le buzz via mail ou SMS pour réunir un maximum d’opposants et détourner l’intérêt des médias.
Beaucoup plus artistique : le freeze. Le premier a été lancé en 2008 à New-York, à l’initiative d’un collectif d’étudiants en beaux-arts. Le principe relève du happening participatif : un groupe investit un espace public, le plus fréquenté possible. Puis, sur un signal, et pour quelques minutes, chacun se fige dans une posture corporelle. Le freeze est connu pour sa puissance communicative. Dernièrement, on a vu le phénomène gagner l’ensemble des clients d’une immense galerie commerciale de Madrid.
Les premiers grands regroupements collectifs de l’histoire étaient marqués d’une double dimension festive et rituelle (Saturnales de l’antiquité romaine, Fête des fous au moyen-âge…). Mais aussi d’une forte symbolique d’intégration sociale : les costumes, déguisements ou masques venant abolir les différences identitaires, de classe et de statut.
En permettant d’injecter de la spontanéité aux mouvements d’occupation ou d’appropriation collective des espaces publics, les technologies numériques leur ont ôté toute dimension rituelle. Ce qui, pour les pouvoirs publics, rend de plus en plus complexes les dispositifs de régulation.
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