Le logement, avec l’emploi, est aujourd’hui la préoccupation majeure des Français. Pour pallier aux difficultés, de nombreux groupes et associations de citoyens s’engagent dans une démarche collective et alternative de conception de l’espace à vivre, en repensant les questions de l’organisation de l’habitat, de la propriété et de l’urbanité.

Les jeunes et les vieux : premières victimes de la crise du logement.

Les jeunes sont les premiers touchés par la crise du logement. D’après l’INSEE, 120 000 appartements sont vacants pendant que 350 000 étudiants boursiers attendent un logement correct et bon marché. 50% d’entre eux estiment que cette dépense représente un poste très lourd dans leur budget. En particulier dans les grandes agglomérations. A Paris, ils sont parfaitement incapable de débourser un loyer de 700 euros pour une chambre de bonne, où près d’1 logement sur 10 est vide.

Pour faire face, le choix est mince : continuer à habiter chez ses parents (syndrome Tanguy) ; tenter de trouver un loyer pas trop onéreux ( souvent en périphérie, d’où des frais de transport), loger dans une résidence étudiante (peu d’offres et peu d’élus) ; s’organiser à plusieurs, en co-location sans forcément se connaître.

Mais il faut être en mesure de répondre aux garanties draconiennes exigées par les propriétaires ; habiter en communauté dans le cadre d’un projet soutenu par un engagement social, culturel, écologique (souvent hors de la grande métropole, à la campagne ou en banlieue seconde couronne). Une autre solution, provisoire, est apportée par l’expérience des squats (au niveau de l’Europe entière). Sous tendu par un projet politique et souvent culturel, le squat pose, en termes revendicatifs clairs, la question de la précarité et de la crise du logement.

Côté seniors, le paysage n’est pas plus rassurant. Tous les indicateurs plaident pour une paupérisation à court terme des personnes âgées. Les études convergent : la pauvreté gagne les tranches les plus âgés de la population. Et parfois de façon dramatique. Les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses dans les maraudes, les hébergements d’urgence, les centres d’action sociale municipaux, les aides alimentaires, les EPHAD (Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes)…. En cause : la démographie, la crise économique et la baisse du niveau des retraites amorcée au milieu des années 90.

En 2050, un Français sur trois sera âgé de 60 ans et plus, contre un sur cinq en 2005. Le vieillissement de la population est irréversible. Il est inscrit dans la pyramide des âges. Les octogénaires de demain ressembleront beaucoup à nos septuagénaires d’aujourd’hui. Jean-Marie Robine, chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), a démontré que la durée de vie sans incapacité est en constante augmentation. Nous gagnons en France, trois mois supplémentaires par an. Aussi bien, dans une vingtaine d’années, sera-t-on encore à la force de l’âge… à 50 ans ! Pour situer les choses, dans l’hexagone, les plus de 60 ans seront, en 2030, 20 millions et représenteront 29 % de la population contre 16% actuellement.

L’Institut national de la statistique (INSEE) table cependant sur une augmentation de la longévité en France, à 89 ans pour les femmes et à 84 ans pour les hommes, à l’horizon 2050. Autant dire que la question du manque de structure d’accueil va se poser de façon croissante. Le choix, là aussi est maigre : les résidences médicalisées pour les mieux nantis, l’’habitat seul ou en couple pour ceux qui sont encore valides, être hébergé par la famille, les maisons de retraite, souvent perçues comme des mouroirs.

Quels habitats, quels environnements pour demain ?

Sur le plan urbain, il est clair que « les villes actuelles ne seront plus adaptées dans vingt ou trente ans à ces poussées démographique et sociologiques, mais aussi à la donnée climatique. L’habitat sera impacté par la dimension sociale « riches et pauvres ». Le scénario le plus à craindre est celui d’une cité réservée aux nantis qui pourront se payer le logement au centre-ville dans des environnements protégés de qualité et la périphérie peuplée par les moins riches à qui se posera le problème de leur circulation pour le travail, le loisir, la consommation et les services « essentiels » liés à la culture, par exemple.

C’est dans le contexte de recherche d’une nouvelle urbanité que se profile l’habitat social de demain, moins cher et plus écologique, plus intergénérationnel et fondé sur le partage. L’habitat collectif constitue un champ privilégié pour mener des expériences alternatives et la coopérative est le statut le plus adéquat pour son bon développement.

Les projets de coopérative d’habitants se définissent comme une alternative complémentaire à la promotion immobilière privée et au logement social. La composante environnementale est souvent prépondérante. Nombre d’expériences actuelles montrent en effet que la vie sociale d’un immeuble ou d’une maison reposera pour une bonne part sur le partage des économies d’énergie, et des taches liées à la lutte contre la pollution mais aussi sur des principes d’organisation collective et d’autopartage. L’habitat groupé et solidaire est la rencontre de voisins qui se choisissent et organisent ensemble la mise en commun d’espaces et de services. Cette dynamique facilite les échanges et l’apprentissage du vivre-ensemble. Elle est aussi source d’économies.

L’habitant participe à la conception et à la gestion de son habitat et des parties communes, dans le respect des espaces intimes et la vie privée. Par définition, une coopérative d’habitants est un espace de propriété collective à but non lucratif, géré démocratiquement (un habitant = une voix). Ses membres, investis soit dans le social soit dans l’environnement, veulent « habiter en cohérence avec leurs idées », et mettent au pot commun leur dynamisme, compétences et réseaux complémentaires.


La coopérative d’habitants

La formule de la coopérative est déjà largement répandue chez nos voisins nordiques et allemands, de propriété collective non lucrative est en plein essor en Suisse (8 % du parc immobilier et jusqu’à 20 % à Zurich), en Norvège (15 % du parc immobilier et 40 % à Oslo), au Québec. L’habitat coopératif, a longtemps été boudé par les Français. A quelques exceptions près comme l’expérience de Meudon, la formule n’a pas fait d’émules en France. La Maison du Val à Meudon, est ainsi un des rares exemples d’immeuble autogéré et l’expérience la plus ancienne. L’immeuble qui abrite une dizaine de familles a été construit en 1980. Il possède sur les 1 600 m2 de surface construite, 20 % de locaux collectifs (salles de réunions, de fêtes, foyer musique et jeux, studio temporaire). Les partants sont remplacés par cooptation pour conserver l’esprit convivial.

A l’heure actuelle, Habicoop est l’une des associations de référence en matière de promotion et d’accompagnement de telles coopératives. L’AP Habicoop (Association de Préfiguration d’une Coopérative d’Habitants dans le Grand Lyon) propose à ses adhérents des logements dont les loyers reflètent le coût réel d’exploitation de l’immeuble dans lequel ils vivent.

Les habitants sont dès l’origine parties prenantes du projet dont ils détiennent des parts sociales. Ils participent aux décisions, aux axes de développement et bénéficient des services offerts par l’association. Leur projet-pilote, « le village vertical ». Situé à Villeurbanne, il rassemble une douzaine de ménages d’horizons divers. Les villageois verticaux disposent chacun d’un logement dans un même immeuble, mutualisent certains espaces et entretiennent des solidarités de voisinage, basées sur la convivialité, la responsabilité, les économies, l’entraide, l’écologie. Le Village Vertical constitue un laboratoire d’écologie urbaine… Les habitants peuvent aussi développer sur place une activité professionnelle. Toutes les décisions concernant la vie collective seront prises en commun, démocratiquement, au sein des assemblées et conseils de village, selon les principes coopératifs. Chacun des villageois est signataire de la charte du village vertical.

Plusieurs exemples sont également fournis par les « coopératives éco-construction ». C’est la ville de Strasbourg qui a donné naissance au premier immeuble en autopromotion français l’année dernière. En mutualisant ainsi l’espace et les services et en passant outre les intermédiaires, ils ont diminué considérablement leurs frais financiers (de 15 à 20 %). Le projet a également permis de souder durablement les habitants : le bâtiment BBC est équipé entre autres d’une buanderie, d’une salle de réunion et d’un potager à usage collectif.

A Lille, le crédo de HEP (Habitations Écologiques Partagées à Lille) est d’ “habiter plus intelligemment sur des principes de respect mutuel et de partage“. HEP est un exemple d’auto-construction qui repose sur la réduction des coûts. La préoccupation est clairement écologique avec des matériaux de construction naturels, l’utilisation des énergies renouvelables, des économes d’échelle sur l’entretien, etc… D’autres initiatives offre la possibilité de louer des bureaux, des locaux commerciaux ou associatifs.

A Gange, dans les Cévennes, mais aussi à Villeneuve d’Asq, des habitats autogérés se développent dans un esprit de développement durable. Plusieurs associations apportent une aide juridique et facilitent le développement de telles initiatives. C’est le cas à Rennes de « Le parasol », ou à Nantes d’ »Eco-habitats ».

Dans la capitale, l’association « Pour un Habitat Éco-construit et Solidaire Parisien (Hesp’ère 21e), née en avril 2007, a créé une couveuse de montage de projets d’habitats partagés en région parisienne. L’objectif : aider des personnes à habiter la capitale et ses environs dans des immeubles éco-conçus en favorisant une réelle mixité sociale. Il s’agit de rassembler des compétences et des partenaires pour définir les conditions de montage de projets et, simultanément, organiser des groupes de particuliers désirant investir dans ces projets sur le principe de l’autopromotion. Initier, accompagner et réaliser un ou des projets d’immeubles exemplaires en termes de développement durable à Paris et la petite couronne, en enfin, promouvoir l’éco-rénovation et l’éco-construction.

Vers une ville familière

Vivre ensemble tout en respectant les libertés individuelles, telle est la tendance décrite par les sociologues du développement social et les démographes. Il faudra trouver des solutions pour assurer le lien social face à la nouvelle donne démographique et au vieillissement de la population. Cette donnée suppose de reconcevoir l’habitat, avec des logements modulables en fonction de l’évolution de la cellule familiale. Déjà des expériences de « co-location » jeunes/vieux se développent. L’habitat va donc s’adapter à la nouvelle définition des « je » et des « nous ». Chacun d’entre nous ayant une identité multiple exige des espaces à usages polyvalents pour se réaliser. L’individu veut et voudra se déplacer dans plusieurs espaces de réalisation de soi. Ces territoires n’ont pas à être définis par un seul usage, idéalement ils doivent être flexibles pour que chacun puisse, seul, à deux, à trois, se les approprier. Tous les espaces dépasseront leur fonction première, et seront « ouverts », mais pas au sens d’absence de cloison, au sens de multiples usages. Il s’agit de faciliter diverses structures de vie au sein d’un même ensemble, ce qui suppose aussi de nouvelles normes.

Le pari est d’aboutir à des sortes d’écosystèmes sociaux intergénérationnels. Si l’on prend la cas de la maison de retraite de demain, elle pourrait ressembler davantage à un logement qu’à un établissement pour personnes âgées. Elle sera souvent mixte avec, par exemple, la crèche au rez-de-chaussée, les chambres d’étudiants au second et le foyer des apprentis au troisième. Les résidents vivront dans un petit ensemble de quinze logements maximum, avec studios et deux pièces. Dans ce cadre, ils bénéficient aussi d’un plus grand confort et d’un accès au multimédia (Internet, DVD, visiophonie…) pour rompre l’isolement et la solitude. Pas question de cantine ou de réfectoire, les résidents ont le choix entre le restaurant et le room-service.Partant du principe que l’on souhaite rester chez soi le plus longtemps possible, les formules du futur devraient ainsi combiner diversité des modes d’hébergement et proximité des proches. Ce qui, concrètement, devrait se traduire par une généralisation des accueils temporaires pour le week-end ou les vacances et des accueils à la journée, la demi-journée ou la nuit, dîner et petit-déjeuner compris.

La réflexion sur l’habitat social du futur est une réflexion sur la socialité du quartier, sur la proximité et par extension sur la « familiarité » de la ville. Un deux mots : une « ville à domicile ». Plus de mobilité, plus d’informations, et plus de proximité, la tendance est déjà là, dans les projets de services de proximités. Citons le Covoiturage, l’autopartage, les services de mobilité, vélib…, la ville sera plus familière parce qu’elle bénéficiera d’un plus grand nombre de services favorisant l’échange et le partage. Internet sera demain au coeur de cette organisation des commodités.

Au sujet de Yan de Kerorguen

Ethnologue de formation et ancien rédacteur en chef de La Tribune, Yan de Kerorguen est actuellement rédacteur en chef du site Place-Publique.fr et chroniqueur économique au magazine The Good Life. Il est auteur d’une quinzaine d’ouvrages de prospective citoyenne et co-fondateur de Initiatives Citoyens en Europe (ICE).

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