L’emploi peut-il être exclu de la reprise ?
A force de scruter l’horizon économique pour tenter de déceler les signes avant coureurs d’une reprise, la moindre inflexion d’un indicateur déclenche de multiples interprétations. Qui, à force d’extrapolations, aboutissent à des conclusions qui prêtent à confusion. Comme lorsqu’on évoque le début d’une reprise en cours, mais un redressement de l’emploi uniquement pour l’année prochaine.
« La reprise économique mondiale a commencé», commente Olivier Blanchard, le chef économiste du Fonds monétaire international (FMI). Mais «le retournement ne sera pas simple», concède-t-il.
Ne revenant pas sur les prévisions de répercussions sur l’emploi avant 2010… et pas forcément en début d’année. Alors, qu’est-ce qu’une reprise ? Si on se focalise sur le marché du travail, l’horizon est encore loin de s’éclaircir. Mais peut-on parler de reprise si l’emploi n’en profite pas ?
Chômage réel contre chômage officiel aux Etats-Unis
Prenons l’exemple du marché américain. En mai dernier, certains observateurs avaient souligné que l’économie américaine continuait à détruire des emplois, mais de moins en moins. Renversement de situation en juin : l’économie américaine a détruit 467.000 emplois, soit 100.000 de plus qu’attendu par les économistes, et le taux de chômage atteint dorénavant 9,5%. « Depuis le début de la récession en décembre 2007, les pertes d’emplois ont atteint 6,5 millions, et le taux de chômage a gagné 4,6 points de pourcentage », souligne le département du Travail américain. Au total, selon les statistiques officielles, le nombre des chômeurs aux Etats-Unis, de 15,5 millions de personnes à la fin juillet, a plus que doublé en un an. Clairement, le chômage ne cesse d’augmenter.
Les salariés qui continuent à perdre leur emploi comprennent-ils qu’on leur parle de reprise ?
En réalité, le tableau est encore plus sombre. Selon le responsable de la Réserve fédérale américaine à Atlanta, le taux de chômage réel du pays grimperait à 16% de la population active si l’on prenait en compte tous les 800.000 travailleurs découragés (qui voudraient trouver un emploi mais ont cessé d’en chercher un) aujourd’hui exclus de la population active, et les 9 millions de salariés à temps partiel qui ne peuvent travailler qu’un nombre d’heures inférieur à ce qu’ils souhaiteraient. Ainsi le chômage officiel ne recenserait-il que les 2/3 de la véritable situation du marché de l’emploi aux Etats-Unis.
Le Japon au plancher
La situation n’est pas plus brillante au Japon, pays qui fut longtemps celui de l’emploi à vie. Or, le nombre de chômeurs (3,6 millions) s’est envolé de 40% en un an, et le taux de chômage de 5,7 % en juillet a atteint son plus bas niveau depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Ainsi, même si les économistes parlent de fin de récession pour l’économie japonaise suite à une hausse de 0,9% du PIB au deuxième trimestre 2009, la situation ne s’éclaircit pas pour autant : la chute brutale des exportations va continuer de dégrader le marché de l’emploi pendant encore plusieurs mois, maintenant la production à des planchers sans reprise aucune.
D’ailleurs, le succès du parti démocrate japonais aux élections de la fin août, mettant fin à 55 ans de règne des conservateurs, souligne plus l’inquiétude des électeurs japonais sur les capacités de leur économie à sortir de la crise, qu’il ne sanctionne leurs anciens gouvernants sur leur bilan.
En France, interpréter les indicateurs
Le décalage est identique en France, où certains commentaires ont insisté durant les beaux jours d’été sur une amélioration du marché de l’emploi. Certes, selon l’Insee, 74.100 emplois auraient été détruits dans l’Hexagone au deuxième trimestre 2009 contre 168.700 au premier trimestre. Mais de là à parler d’une embellie…
Car le chômage, d’après ces statistiques, continue d’augmenter, et cette tendance ne va malheureusement pas s’inverser. Selon un sondage Ifop, 40% des patrons de PME qui forment le vivier de la création d’emplois en France ne voient pas de sortie à la crise avant 2011, et ne risquent pas de créer de l’embauche avant de percevoir la reprise. Christine Lagarde elle-même, en tant que ministre de l’Economie, prévoit une détérioration de l’emploi jusqu’à la fin de l’année, au moins.
Alors, chacun tente de tordre les critères d’évaluation pour que la photographie du marché du travail soit la moins sombre possible. Ainsi, lorsque les commentaires sur les chiffres de l’emploi font apparaître une diminution du nombre des demandeurs de 0,7% en juin, ils omettent souvent de souligner que ce résultat a été obtenu surtout grâce aux cessations d’inscription pour défaut d’actualisation (en hausse de 19% !) et radiations administratives. C’est ce que révèle, lorsqu’on creuse un peu, une note des services du ministère de l’Emploi lui-même. Ceci explique que les statistiques de juillet dépouillées de cet artifice soient à nouveau négatives.
Ainsi, pas de reprise à l’horizon lorsqu’on considère le chômage réel. La réalité d’après cette note est que le nombre des personnes véritablement sans emplois (chômeurs de catégorie A) a augmenté de 36% pour les hommes et de 15% pour les femmes en un an. Et qu’on anticipe toujours pour 2009 la perte de 592.000 postes (contre 93.000 en 2008).
La preuve par l’investissement
Il ne peut guère en être autrement puisque, selon l’Insee dans son enquête de juillet, les industriels français ont encore revu à la baisse leurs prévisions d’investissements en 2009. Jamais gel ne fut si important, avec une chute de 21 % de ces investissements (et même 23 % dans l’industrie manufacturière) contre 18% trois mois plus tôt. Les industriels du secteur automobile, qui ont bénéficié de mesures de relance gouvernementales, ont révisé leurs précédentes anticipations, en hausse de 6 points… mais ils prévoient tout de même une chute de 18 % de leurs investissements. Si on considère que, grâce à « la prime à la casse » instaurée en France et dans de nombreux pays européens, l’automobile est quasiment le seul secteur qui ait soutenu la consommation et les exportations, le tableau n’est guère réjouissant. Car cette prime devrait progressivement disparaître. Avec l’extinction de cette incitation, les ventes risquent de retomber à des niveaux inférieurs à la normale à cause d’un rajeunissement artificiel du parc automobile. Et l’emploi, à nouveau, d’en pâtir.
Or, si l’économie doit être au service des citoyens, c’est bien lorsque le marché du travail repartira – et pas avant, quel que soit l’indicateur considéré – que l’on pourra parler véritablement de reprise. Car elle sera alors palpable pour tous, et pas seulement pour les milieux institutionnels.