Immigration : Welcome dans la forteresse !
Les décennies à venir seront marquées par d’importantes migrations vers les pays de l’OCDE. Elles viendront compenser le déficit démographique de populations vieillissantes et répondre à des nécessités économiques et humanitaires.
D’abord un film, « Welcome », de Philippe Lioret. Un film « bouteille à la mer » comme on en voit rarement, sur le sort des réfugiés de Calais qui tentent de traverser la Manche.
Il raconte le soutien d’un maître nageur (Vincent Lindon) à un jeune Kurde qui veut rejoindre sa fiancée en Angleterre. L’humanité des personnages est inversement proportionnelle à la froideur de la mer qu’il faut traverser et à la glaciale sècheresse de la politique du chiffre mené par le gouvernement français. « C’est aussi un homme qui cesse de regarder en bas en rentrant chez lui, qui lève un peu les yeux et qui devient un citoyen qui se mêle » raconte l’acteur Vincent Lindon. Le ministère de l’Immigration a annoncé qu’il comptait interpeller, en 2009, quelque 5500 personnes ayant un jour aidé un sans-papiers. Ces citoyens qui « se mèlent » sont de plus en plus nombreux. Le 8 avril, une dizaine d’associations comme Médecins du monde et le Comité médical pour les exilés (Comede), ont appelé à manifester devant les palais de justice de toutes les grandes villes contre le délit de solidarité ».
Voyons les choses en face. N’en déplaise aux tenants des « identités nationales », l’émigration qu’elle soit politique économique ou climatique, est une donnée de base des temps à venir. Un pays bien dans sa peau n’a pas de problème avec les émigrants. Sinon, c’est qu’il a peur. La peur est manifeste dans les pays européens , en particulier la France. Sans doute notre pays est-il mal dans sa peau. Il risque de l’être de plus en plus s’il ne se met pas en état de penser cette réalité incontournable.
Dans « Souvenirs d’un européen » (Livre de Poche) , Stephan Zweig écrit qu’avant 1914 on voyageait sans passeport, sans formalités à remplir, il n’y avait pas de visa. On traversait les frontières avec autant d’insouciance qu’on traverse le méridien de Greenwitch. Ce temps est révolu. L’absurdité est dans ce paradoxe: tandis que les pays développés auront de plus en plus besoin d’apports nouveaux de populations, l’Europe se transforme en forteresse.
Ensuite, un livre : « Cette France-là » (La Découverte paru en mars 2009). Cet ouvrage collectif fait l’état des lieux de la politique d’immigration et d’identité nationale voulue par Nicolas Sarkozy. Un dossier capital pour comprendre la logique de ses acteurs, et la nature des arguments déployés pour justifier le bien-fondé de l’opposition qu’elle institue entre « immigration choisie » et « immigration subie ». Les auteurs reconstituent l’obsession du résultat qui caractérise cette politique du chiffre. Ils montrent que « sa rationalité ne correspond guère aux justifications qu’elle allègue, qu’il s’agisse du pragmatisme économique, de la prévoyance démographique, du souci de l’intégration et du développement solidaire ou encore au respect de l’État de droit ». La première partie de l’ouvrage rapporte plusieurs dizaines d’histoires de personnes ayant fait l’objet d’une mesure d’éloignement et raconte leur parcours jusqu’à l’expulsion, ou rarement à la régularisation. L’ouvrage décrit l’important dispositif affecté, confié à Brice Hortefeux, jusqu’aux collaborations apportées par certains segments de la société civile, en passant par les contributions de la police, de la justice, des ministères du Travail et de l’Éducation nationale, ou encore des élus locaux. Mais aussi le nouveau rôle joué par les préfets dont le Président a renforcé le rôle et le contrôle. Eloquent!
Enfin, un Rapport de l’OCDE » l’avenir des migrations internationales vers les pays riches à l’horizon 2030″. (à paraître dans le courant du printemps). Il dresse une analyse prospective des flux migratoires internationaux des pays non-membres de l’OCDE vers les pays de l’OCDE. Il examine d’une part les facteurs de rejet et d’attraction et d’autre part les tendances susceptibles d’influencer les flux migratoires internationaux. Lucide!
Cette étude montre que les flux d’immigration sont restés importants. Les chiffres actuels concernant les pays de l’OCDE indiquent que la population née à l’étranger s’élevait à 11.7% en 2006 et que les flux d’immigration ont augmenté de 18% en 2006 par rapport au tournant du siècle.
Ces chiffres ont progressé régulièrement, en même temps que le nombre de pays hôtes et de pays d’origine. Entre 1990 et 2000, en moyenne, quelque 2.5 millions de migrants (chiffre net) ont quitté les régions les moins développées du globe chaque année à destination des plus développées (ONU, 2005). Les flux d’immigration les plus importants ont été enregistrés en Amérique du Nord, avec une moyenne de 1.4 millions d’individus par an ; ensuite vient l’Europe qui a absorbé quelque 0.8 million d’immigrants chaque année. Il est difficile, voire impossible, de prévoir l’ampleur et la direction que prendront les migrations de demain mais tout indique que les flux au départ du monde en développement vers les pays de l’OCDE augmenteront dans les décennies à venir. Avec l’apport notamment des « écoréfugiés ».
L’OCDE évoque une véritable mutation d’ordre technologique, démographique, économique, environnemental, politique, liées au marché du travail. De fait, les politiques migratoires des pays riches devront faire face à un double enjeu : d’une part, la nécessité de capitaliser et de multiplier les avantages que les migrations internationales peuvent procurer pour l’économie et la société, en particulier face au vieillissement des populations, et d’autre part l’obligation de gérer les migrations, qui sont sources de conflits communautaristes et de rejets identitaires et de faciliter l’intégration économique et sociale des nouveaux arrivants.
Les inconvénients analysés par les experts ne résistent pas au poids des avantages. Le vieillissement de la population européenne ne représente plus un scénario abstrait décrivant un futur éloigné. Les perspectives sont connues depuis longtemps. D’ici à 2050, nous allons perdre en Europe 40 millions d’habitants. Nous serons moins de 400 millions de personnes. II y aura 7 millions de jeunes européens (16-24 ans) en moins dans la période 2010-2030. On comptera 25 millions d’adultes en moins (25-54 ans) pendant la même période. La moyenne d’âge sera de 49 ans, contre 36,5 ans aujourd’hui. Les Américains, eux, auront une moyenne d’âge de 36,5 ans.
Face à un pays vieillissant, les migrations sont apports de jeunesse, de ressources, d’échanges culturels et de paix. L’évolution démographique de l’Union marque ainsi le tournant le plus important de son histoire.
Selon une autre étude sur la démographie, présentée par la commission européenne, en novembre 2008, la population âgée de 60 ans et plus va croître à raison de 2 millions de personnes chaque année au cours des 25 prochaines années. Au même moment, la croissance de la population en âge de travailler décroîtra rapidement et s’arrêtera complètement d’ici à 6 ans.
Comme la nature a horreur du vide, sans un recours massif aux émigrants, la production de richesses risque de n’être pas assurée D’où la nécessité de bien gérer les flux de migrations. Pour réussir l’immigration, il faudra bien se poser la question du choix et les conditions d’accueil Pour l’OCDE, aider les immigrés et leurs enfants à trouver un emploi doit constituer une priorité.