Au printemps 2011, les rayons de la grande distribution devraient référencer des produits français labellisés commerce équitable. Une première.

Le commerce équitable s’ouvre à de nouveaux équilibres. En commercialisant en grande distribution les premières gammes équitables issues de la production française, Alter Eco et Ethiquable jettent les bases d’un commerce nord-nord.
De quoi animer le débat sur la pertinence d’un glissement de centre de gravité d’un modèle construit sur des échanges nord-sud. Un glissement auquel la Plateforme française pour le commerce équitable (PFCE) s’est longtemps montrée très réticente, même si certains de ses membres, parmi lesquels Alter Eco et Ethiquable, réfléchissent depuis longtemps à un élargissement des frontières du commerce équitable.

Après tout, ne voit-on pas se développer un commerce équitable local sud-sud, offrant aux producteurs des débouchés intéressants en complément des exportations vers le monde occidental ?

En outre, le déplacement des équilibres géographiques altère-t-il les fondements du modèle ? Alter Eco, travaille avec Corab, une coopérative de Poitou-Charentes regroupant 120 petits et moyens producteurs qui privilégient la polyculture. Pour sa part, Ethiquable travaille avec une association d’éleveurs et de producteurs laitiers cherchant à valoriser des châtaigneraies jusqu’alors sans sous-exploitées.

Pour le reste, les deux acteurs s’imposent un cahier des charges identique pour ses grands principes à ceux qui structurent le commerce équitable nord-sud : contractualisation sur le long terme de la relation commerciale, prix minimum garanti supérieur au prix du marché, reversement par le groupement de producteurs d’une prime de développement, possibilité de préfinancement.

Un contexte réglementaire restrictif

Reste que la cadre réglementaire circonscrit le commerce équitable aux échanges nord-sud. L’article 60 de la loi française du 2 août 2005 est des plus clairs, qui le définit comme un “échange de biens et de services entre des pays développés et des producteurs désavantagés situés dans les pays en développement”.

Côté Commission européenne, même restriction de principe : “La notion de commerce équitable n’est pas considérée comme “directement pertinente pour les marchandises produites dans l’Union européenne, où les normes sociales et environnementales font déjà partie intégrante de la législation. Dans l’UE, l’intégralité de la production ainsi que tous les producteurs et salariés bénéficient d’ores et déjà, en matière sociale et environnementale, d’un niveau de protection au moins aussi élevé que celui établi pour les produits relevant du commerce équitable”.

Le commerce équitable vise la réduction des inégalités directement imputables à la dérégulation de marchés agricoles régis par la spéculation financière à court terme. Il propose l’instauration de nouveaux équilibres, des modes de production paysans plutôt qu’industriels et la relocalisation des activités de transformation et de distribution à proximité des sites de production.
Il s’est donc construit sur une double notion d’altérité et de protection. Il s’agit de défendre de petits paysans du sud, isolés, menacés par un système d’échange structurellement inéquitable.

Ce modèle est-il déclinable à une population extrêmement hétérogène, soumis à une forte régulation communautaire et pas nécessairement plus fragilisée que d’autres corps sociaux ?

A cela s’ajoute une dimension – certes plus prosaïque, mais qui a son importance – de représentation collective : les agriculteurs des pays du nord traînent l’image d’un groupe social hyper corporatiste, aux méthodes productivistes, indifférent aux attentes des consommateurs et peu soucieux de la protection de l’environnement. A cet égard, aujourd’hui, seuls les tenants de l’agriculture bio pourraient être éligibles aux déterminants fondamentaux du commerce équitable.

L’ouverture par les circuits courts ?

L’écho rencontré par les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), par les “circuits courts” et les systèmes formalisés d’échange direct entre paysans producteurs et consommateurs ne pourrait-il pas également encourager un élargissement “statuaire” du commerce équitable ?

L’évolution des comportements de consommation, plus axés sur des achats responsables, plus soucieux des écosystèmes économiques locaux et de plus en plus sensibilisés à la recréation de lien social, milite incontestablement pour une économie de proximité, respectueuse des principes de solidarité territoriale.

Apparus au Japon et en Allemagne dans les années 70, déployés ensuite au Royaume-Uni, au Canada et aux Etats-Unis, les circuits courts sont apparus en France en 2001, avec les AMAP. Comme les autres modèles dans le monde, les AMAP visent le développement d’une l’agriculture raisonnée et biologique, par la création d’un lien direct entre paysans et consommateurs qui s’engagent à acheter la production à un prix équitable et en payant par avance.

Consommateurs et producteurs passent généralement un contrat pour une saison, par lequel ils définissent les méthodes agronomiques utilisées, la quantité et la variété des denrées à produire. La diversité permettant d’étendre la durée de la saison et de limiter les risques afférents aux aléas climatiques et sanitaires.

Le règlement par avance garantit la productivité du modèle : tout ce qui est produit est consommé (quand, ordinairement, 30%, 40%, voire 60 % de la récolte peut rester au champ). Il est ainsi possible de diminuer le prix des denrées en reportant les coûts sur la totalité de la production.

En 2008, le commerce équitable a généré en France un chiffre d’affaires de plus de 300 millions d’euros, soit cinq fois plus qu’en 2003. Les volumes de consommation demeurent trois fois moins élevés que chez nos voisins Néerlandais ou Britanniques.

En tête des ventes et de très loin : les produits alimentaires. A elle seule, la grande distribution représente les deux tiers du marché, le tiers restant se partageant entre les circuits de distribution spécialisée, mais aussi le secteur “hors-domicile” (cafés, hôtels, restaurants, vente à emporter, consommation en entreprises), qui affiche une croissance de 57% en 2008.

Au sujet de Muriel Jaouën

Journaliste de formation (ESJ Lille, 1990), Muriel Jaouën publie régulièrement dans le magazine de Place-Publique. Ses spécialités : économie sociale, développement durable, marketing, communication, organisations, management.

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