Civilisation Sea, Sun et Sport, nouveau tiercé gagnant à Majorque
Jean-Louis Lemarchand
Symbole du tourisme de masse et de la bétonnisation à outrance, Majorque résiste à la crise et aménage son modèle. Impressions d’un voyageur estival.
Mais où est donc passée la crise ? Question pas tout à fait incongrue en ce milieu de juin aux Baléares. Ces jours-ci, les quotidiens de Majorque, la principale des quatre îles de l’archipel, ont des yeux de Chimène pour leur idole locale, Rafael Nadal. Sept pages tout simplement dans l’un d’entre eux pour célébrer la septième victoire la veille de leur superman à Roland Garros. Un titre en gros caractères barrant la « une » pour un autre : « Nadal entre dans la légende ».
Le fait central de l’actualité espagnole et européenne, le plan de sauvetage massif aux banques nationales est reléguée en pages intérieures. Il est vrai que l’Union Européenne a accordé un régime de faveur à Madrid, n’exigeant, en contrepartie des 100 milliards d’euros, qu’un nettoyage du système bancaire mis à mal par la bulle immobilière.
Justement ici, sur la baie de Palma, on se trouve à l’épicentre de cette bétonnisation du rivage qui a donné naissance à l’horrible-et réaliste-terme de « baléarisation ». Le m2 disponible se fait rare, les réhabilitations dans un style « écolo-bo-bo » vont bon train et un quotidien local annonce la réalisation d’une résidence arborée avec piscine. Le temps semblerait désormais à l’aménagement contrôlé et à la préservation de l’espace. Les conteneurs de récupération des déchets fleurissent jusqu’au centre même de Palma. Le mobilier urbain adopte le bois, à l’instar de ces abris pare-soleil installés en bord de mer à l’est de Palma.
Priorité est donnée par les autorités aux équipements collectifs avec l’achèvement par exemple d’un réseau de pistes cyclables sur l’île de Majorque. Le sport apparaît comme le dernier argument à la mode, touristique et citoyen. Un nouvel « opium du peuple » ? Sur le front de mer, chacun, de 7 à 77 ans court, roule à vélo ou en rollers. Tout se passe comme si les Baléares voulaient se donner une nouvelle jeunesse, un demi-siècle après la construction à marche forcée, caractéristique des dernières années Franco. A la trilogie classique Sea, Sun and Sangria succèderait une autre formule « 3 S » Sea, Sun and Sport.
Opération séduction auprès des Russes
Le soleil et la mer restent les points forts des Baléares, d’après un sondage effectué …auprès de clients russes. Tout comme sur « notre » Côte d’Azur, ils sont aujourd’hui choyés, les nouveaux riches de l’ère Poutine. Un journal en russe a fait son apparition dans les kiosques ces derniers jours. En quête de degrés (et pas seulement solaires), Scandinaves, Allemands et Britanniques apprécient toujours les charmes des Baléares, ses golfs et ses fiestas nocturnes. L’aéroport de Palma est devenu le n°1 pour la fréquentation en Espagne –un vol tous les 5 mn en pleine saison-… un siècle exactement après qu’un français, Julien Mamet y effectua la première exhibition en aéroplane.
Il n’empêche. Le modèle touristique, qui assure plus des ¾ des recettes de l’archipel, apparaît en quête d’un nouveau souffle, à l’instigation d’un Parlement régional conservateur. On joue la carte du libéralisme en levant des obstacles au commerce avec l’extension de l’ouverture dominicale des magasins, à Palma du moins, la possibilité offerte aux cafés-restaurants d’occuper l’espace public, ou encore la modulation des taxes d’aéroports pour conforter la fréquentation hivernale.
N’est-ce pas trop tard pour un lifting ? s’interroge un éditorialiste local. Reste que les initiatives ne manquent pas et que la création d’entreprises démontre un beau dynamisme dépassant allègrement les 10 % en rythme annuel. Une performance à faire rêver et pas seulement sur le « continent » espagnol.