Le 24 mars 2007, le site Internet Agoravox, qui se présente comme «Le média citoyen», organisait les premières rencontres du 5e pouvoir. Entre enjeux sociaux et technologiques, la campagne présidentielle a eu également droit de cité…

10 000 rédacteurs, 15 000 textes publiés depuis sa création en mai 2005, modérés par 40 bénévoles (sachant qu’un tiers des contributions reçues quotidiennement n’est pas validé), un million de visiteurs par mois: Agoravox se présente comme un site en pleine expansion et… fier d’appartenir à la sphère du cinquième pouvoir, qu’Ignacio Ramonet du Monde diplomatique définit ainsi : « Ensemble des citoyens, organisés grâce aux nouvelles technologies de communication, qui contrebalance le quatrième pouvoir, celui des médias et par extension du business, qui lui-même contrebalance les trois pouvoirs traditionnels : législatif, exécutif et judiciaire ».

Une sphère qui, à en croire les organisateurs de la journée du 24 mars, moment de rencontre entre créateurs d’Agoravox, rédacteurs et invités extérieurs (journalistes notamment), n’arrête pas de grandir et de peser de plus de plus dans les débats politiques et sociaux.

Présenté lors de sa création comme le premier media citoyen de la toile française, pourvoyeur selon Joël de Rosnay, l’un des fondateurs du site, de «néo-journalisme participatif», Agoravox est aujourd’hui, toujours selon M. de Rosnay, porteur de la révolte du pronétariat, «cette nouvelle démocratie en train de naître, inventée grâce aux nouvelles technologies ou médias des masses (Internet, blogs, SMS, chats…) par les citoyens du monde». Et rien de plus normal, pour cette «nouvelle démocratie», que de s’intéresser aux élections présidentielles.

Ainsi, le 24 mars, une discussion sur le thème «Présidentielles 2007 : l’irruption des internautes dans la campagne» devait clore cette ode à Agoravox.

Quand les citoyens entrent en campagne

«Présidentielles 2007 : l’irruption des internautes dans la campagne» n’est autre qu’un ouvrage collectif coordonné par Carlo Ravelli, co-fondateur d’Agoravox, et réunissant la prose de rédacteurs du site. Ses objectifs: «Analyser et disséquer le mécanisme politico-médiatique qui a tenté d’imposer une bipolarisation de la vie politique tout en jouant, au gré des sondages, avec la notion de « troisième homme »; comprendre si les internautes, le cinquième pouvoir et le journalisme citoyen ont réellement influencé cette campagne présidentielle», peut-on lire dans l’ouvrage en question.

Au programme, plus de 30 contributions émanant de rédacteurs de notoriété variable. On note, par exemple, la présence de Corinne Lepage ou de Rachid Nekkaz, tous deux candidats malheureux n’ayant pu se présenter à la présidentielle. Les thèmes abordés vont de la concentration des médias au marketing de la peur, en passant par le contrôle de l’information ou l’utilisation des sondages – dont le site est également friand -, sans oublier le rôle du cinquième pouvoir dans la campagne. Ainsi, Philis Cyril, alias Rage, jeune ingénieur de 25 ans et auteur dans le livre d’une tribune intitulée «La révolution citoyenne est en marche», en est certain : «L’expression des citoyens, soit la face cachée du pouvoir médiatique, est aujourd’hui possible par le truchement du net. L’organisation en réseau a remplacé l’organisation pyramidale. A nous, citoyens, de fournir des contenus dignes de la diversité que nous représentons».

Joël de Rosnay est revenu, quant à lui, sur le thème de sa contribution «Vers une société de mise en scène de la peur?» en appelant les citoyens à « ne pas céder au diktat de l’audimat de la peur, telle que pratiquée au journal télévisé. Car en l’absence de projet politique donnant sens à la vie des gens et donnant à voir la construction d’un avenir commun, la cohésion se fera par la peur, celle qui s’exprime face au terrorisme, au réchauffement climatique, au tsunami, etc.».

Quant à l’influence de ce cinquième pouvoir sur la campagne, Thierry Crouzet, autre bloggeur ayant participé à l’ouvrage commun, n’hésite pas à déclarer : «C’est à nous de montrer que l’on peut changer les choses et faire bouger les lignes. Ainsi, nous avons œuvré pour un rapprochement entre Corinne Lepage et François Bayrou, et cela a réussi».

Subjectivité, gratuité, qualité de l’information

Juste avant cette intervention, un autre jeune bloggeur avait cru bon de rappeler que la différence entre le journaliste et les rédacteurs d’Agoravox, c’est que ces derniers «doivent rendre compte de leur subjectivité dans leurs articles et ainsi représenter toute la diversité de la société». Un débat un peu plus approfondi sur cette thématique, ainsi que sur la qualité de «l’information» ainsi rendue publique, aurait été le bienvenu tant celle-ci a son importance quant aux messages que l’on diffuse et à la posture que l’on adopte…

Ainsi, suite à cette journée, Jean-Luc Martin Lagardette, journaliste, auteur de «L’information responsable» (Editions Charles-Léopold Mayer) et rédacteur sur Agoravox, a précisé dans une contribution publiée sur le site : «Contrairement à ce qui semble aux yeux de beaucoup, il y a encore de grandes différences entre journalisme professionnel et journalisme citoyen. Je ne parlerai pas ici de différences de qualité (il y a des bons et des mauvais partout), mais de différences entre les démarches. […] Ainsi, aujourd’hui, en attendant d’éventuelles évolutions, et si l’on excepte les sites militants engagés très spécifiquement dans un secteur précis, le journalisme citoyen est essentiellement un journalisme d’opinion, assez peu d’information ».

A noter que l’ouvrage sur les présidentielles, édité aux éditions Le Manuscrit, coûte la modique somme de 19,90 euros et que tous les auteurs ont renoncé à leurs droits d’auteurs, cet argent servant notamment à financer la journée du 24 mars, elle-même payante pour les participants. Là aussi, on ne peut que regretter l’absence de débats contradictoires sur la non-rémunération de tels ouvrages et la concurrence déloyale qui peut être faite à des journalistes dont c’est le métier, donc le gagne-pain…

Mais fort de leur succès et du poids qu’ils sont certains de représenter, les fondateurs d’Agoravox et leurs rédacteurs ne semblaient pas enclins à débattre de sujets de fond. La vocation de cette première rencontre se résume donc en une phrase, prononcée par Joël de Rosnay en fin de journée : «Pronétaires de tous les pays, unissez-vous!».

Site : www.agoravox.fr

Au sujet de Anne Dhoquois

Anne Dhoquois est journaliste indépendante, spécialisée dans les sujets "société". Elle travaille aussi bien en presse magazine que dans le domaine de l'édition (elle est l'auteur de plusieurs livres sur la banlieue, l'emploi des jeunes, la démocratie participative). Elle fut rédactrice en chef du site Internet Place Publique durant onze ans et assure aujourd'hui la coordination éditoriale de la plateforme web Banlieues Créatives.

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