Le sentiment de manque de temps est le signe, comme le souligne la philosophe Dominique Meda, d’un « grippage ou d’une inefficacité des mécanismes classiques de régulation, et doit nous inciter à avoir une plus grande cohérence des différents temps individuels et sociaux, notamment en concevant des politiques publiques capables d’aller dans ce sens ».
Aujourd’hui, la situation est paradoxale : dans notre pays où, a priori, la durée du temps de travail a baissé au fil des 20 dernières années, le sentiment de manque de temps s’exprime de plus en plus fortement. Cette question ne touche pas que les cadres dirigeants ou dirigeantes mais de pour de nombreux salariés quelle que soit leur activité. Le manque de temps devient un vrai problème de société. Car la durée proprement dite du temps de travail est entrée – sous couvert des 35 heures- dans une illusion d’optique : si le temps de travail moyen a baissé, dans bien des cas on a assisté à une intensification des rythmes de travail. De plus, l’analyse de la réduction du temps de travail, reste souvent calée sur l’opposition. Or, réclamer plus de temps ne signifie pas forcément vouloir plus de loisirs. L’opposition entre temps de travail et loisir n’a pas lieu d’être. Il faut accepter la multiplicité des temps : temps professionnel, de formation, parental, domestique, repos, loisirs, associatif …. Car l’approche binaire travail -loisir biaise souvent les analyses, et facilite une critique sans nuance de la réduction ou de l’aménagement du temps de travail dont les 35 heures font partie.
La complainte du manque de temps traduit le souhait d’un souhait meilleur rééquilibrage entre les différents temps. Plusieurs enquêtes ont, par exemple, confirmé le désir davantage de temps parental : les premières enquêtes sur l’usage des RTT ont montré que le temps libéré était consacré aux proches (notamment aux enfants) mais aussi à d’autres temps sociaux.
Transmettre, s’engager dans la vie sociale citoyenne est de moins en moins possible, or ces activités sont aussi source de bien-être individuel et d’épanouissement collectif. Temps de travail et autres temps sont de plus en plus en tensions. Il faut repenser l’environnement des individus, familles, entreprises, mais aussi mieux coordonner les temps des institutions, des services publics, commerce, transports… pour alléger les problèmes de tensions et d’articulation des temps, qui sont porteurs d’inégalités, et relèvent aujourd’hui de la responsabilité collective. Sans oublier que le temps est un enjeu culturel important comme l’explique la sociologue Simonetta Tabboni, auteur de « Les temps sociaux » (Armand Colin, 2006), qui souligne que toute analyse d’une société doit prendre en compte l’imbrication et l’évolution de ces temporalités diverses, et se référer à la manière dont chaque groupe humain « fabrique » et organise « son » temps.
Estelle Leroy