2015 : le défi des entreprises sociales pour un bien être économique partagé
« Le monde que nous voulons : quelles visions pour l’après 2015 ? » C’est la question inaugurale posée dans le cadre du Forum mondial Convergences, qui s’est tenu à Paris du 17 au 19 septembre 2013. Question d’autant plus prégnante qu’à près de deux ans de l’échéance des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), le futur cadre international n’est pas encore vraiment fixé.
« Quand on interroge les hommes politiques sur le monde après 2015, la grande majorité disent qu’ils ne savent pas ». Celui qui parle est le Commissaire européen au développement Andris Piebalgs. Avant, explique-t-il, il y avait en Europe des objectifs de prospérité pour les uns, d’intégration pour les autres, d’écologie ou de citoyenneté pour les 3ème . Aujourd’hui, rares sont ceux qui arrivent à afficher des objectifs clairs. Difficulté à réunir les agendas ou incapacité de s’entendre sur les défis à tenir, les hommes politiques des pays membres de l’UE vacillent quand on leur parle de développement.
D’où la nécessité de relancer sans cesse le débat sur la question. Un modèle de solidarité internationale est-il en voie d’apparaître. Est-il politiquement possible à mettre en œuvre ? L’objectif d’éradiquer la pauvreté d’ici 2015 et de parvenir au bien être et à la prospérité durable sont-ils tenables ?
Pour Andris Piebalgs, « l’ensemble des acteurs du développement et les entreprises sont de plus en plus conscients de la nécessité de trouver des approches permettant de combiner compétitivité, durabilité environnementale et inclusion sociale, au Nord comme au Sud ». Nous y voilà : «le social » devient la clé de la croissance. Entreprise sociale, social business, économie sociale et solidaire, social impact bond, banking social… le social et l’éthique sont aujourd’hui cause entendue par les citoyens et par les professionnels.
Impossible aujourd’hui de faire du développement économique sans œuvrer socialement. C’est un Prix Nobel de science économique, Amartya Sen, qui le dit : « l’honnêteté, la confiance, l’estime réciproque, le sens du devoir jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement de l’économie. Tout système économique a besoin d’un ingrédient de civisme pour fonctionner ».
Un livre à paraître démontre preuves et chiffres à l’appui que « l’égalité est meilleure pour tous » ( R. Wilkinson et K. Pickett). Pour les pauvres naturellement, mais aussi pour les riches. Ainsi, vit-on plus mal dans les sociétés inégalitaires. L’idée que « plus les riches sont riches, plus la société dans son ensemble est prospère, explique le ministre du développement français, Pascal Canfin, a pris du plomb dans l’aile. C’est l’un des piliers de l’idéologie néolibérale qui est battu en brèche».
Depuis quelques années, nombre d’initiatives collaboratives font flores pour réduire les inégalités, partager les potentiels, rééquilibrer les richesses de la planète, notamment chez les jeunes.
Michel Barnier, Commissaire européen chargé du marché intérieur s’en félicite, Commissaire européen présent au Forum Convergences : « Les raisons d’agir sont nombreuses. On est obligé de tirer les leçons de la crise et de l’ultralibéralisme. La croissance qu’on va retrouver ne sera pas la même qu’avant la crise. Il faut tenir compte désormais des défis qu’imposent le changement climatique, la stabilité dans le monde, les droits humains, l’éducation ».
A la question faut-il être ensemble au niveau européen pour relever ses défis ou chacun pour soi ?
Michel Barnier répond sans hésiter : «Être ensemble est indispensable. L’Europe doit montrer l’exemple. Il faut accepter le changement ».
Pour le Commissaire européen, « les entrepreneurs sociaux sont au cœur du modèle de nouvelle croissance. C’est un investissement pour l’avenir dans les pays en développement comme dans les pays développés ».
Ces entreprises privées qui se distinguent par leur finalité sociale et par la recherche d’un profit limité bénéficient à la fois d’une flexibilité économique et d’une réelle proximité avec les parties prenantes.
Les entreprises sociales apportent en effet des réponses concrètes et innovantes aux défis de la lutte contre la pauvreté et pour préserver l’environnement. En Europe, ce mouvement suscite l’intérêt croissant des politiques, comme en témoigne le lancement d’une Initiative pour l’entrepreneuriat social par la Commission européenne qui en a fait l’un des piliers de sa stratégie économique et sociale.
Rappelons qu’en 2009, une résolution du Parlement européen prenait acte de l’importance de l’économie sociale dans la crise. Le Plan d’action Obama, présenté la même année a aussi prévu des investissements importants pour favoriser la création d’entreprises sociales. Les organismes publics et les gouvernements prennent aujourd’hui la mesure du poids économique que représentent les entreprises sociales mais aussi les entreprises de l’économie sociale et solidaire telles que les coopératives, les associations, les fondations et autres mutuelles.
L’Économie sociale et solidaire reconnue par l’Union européenne.
« L’Économie sociale et solidaire est au cœur de mon agenda, poursuit Michel Barnier. Une plate-forme d’échanges a été créée sur des sujets comme les incitations financières ou les textes réglementaires. C’est la première fois que l’Europe la reconnaît.
L’Europe agit. Elle est preneuse d’idées sur les nouvelles formes de financement social et tout ce qui favorisera la participation des citoyens pour réaliser une vraie économie sociale de marché Performance économique et coopérative ne sont pas incompatibles». Un fonds d’investissement solidaire a été créé. Les règles des marchés publics ont été rénovées. Le mieux disant a été valorisé sur des critères sociaux et environnementaux. La commission a également lancé un travail de mesure de l’impact social . Elle a défini un statut européen de la coopérative. « Plus de transparence, plus d’actes, moins de mots, voilà le message européen » souligne le Commissaire européen.
De plus en plus de grandes entreprises ont compris que les impacts sociétaux seront demain déterminants dans leur business, non pas comme un facteur supplémentaire ou complémentaire, mais comme un levier essentiel pour gagner des marchés, privés comme publics, pour garder leurs clients finaux et pour développer leur image employeur. La solution est dans l’hybridation du public, du privé et du social/solidaire, soutient-on au sein du réseau des entreprises sociales Ashoka.
Bonne nouvelle: l’entrepreneuriat social commence à être considéré comme une vraie alternative de dignité économique.
Pour Laurence Grandcolas, responsable du développement au sein d’Ashoka, qui représente plus de 3000 entreprises dans le monde, « il est fondamental d’entendre deux commissaires européens (Barnier et Piebalgs) prendre la parole sur les entreprises sociales et la finance solidaire. Car l’entreprise a besoin d’en savoir plus sur les cadres réglementaires. Il faut s’intéresser aux pauvres en tant que citoyens économiques, non seulement parce qu’ils ont du mal à vivre, mais aussi parce que les plus démunis représentent un marché conséquent ».
Une enquête d’Accenture a mis en évidence que les pauvres dans les pays riches dépensent 220 Mds€ par an. Mais ils subissent des excès de coûts dus à leur faible solvabilité. En tous les cas, impossible de négliger le poids que cette partie de la population représente.
Ashoka est en pointe dans ce combat pour concilier le business et le social. « En misant sur la rencontre de deux mondes culturellement antagonistes – le social et le business –, nous nous inscrivons dans une logique gagnant-gagnant qui dépasse la philanthropie et la responsabilité sociétale des entreprises, explique Hugues Sibille, vice président du Crédit Coopératif. Il ne s’agit pas seulement d’utiliser la puissance des grandes entreprises pour porter des projets à fort impact social, mais aussi d’exploiter la formidable capacité d’innovation des entrepreneurs sociaux pour permettre à ces grands groupes d’optimiser leur performance.
L’entreprise sociale est plus immédiatement et universellement signifiante.
Elle est donc plus aisément fédératrice. Il y a sans doute également avec l’entrepreneuriat social un levier générationnel qui va jouer en faveur de la rénovation de l’ESS ». En donnant à ce secteur de l’économie sociale dans son ensemble les atouts nécessaires pour solidifier leur modèle économique, on peut envisager avec optimisme la construction d’un monde plus équitable et durable. Tel est le défi ! Tel est le débat !
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