« Travailler sur ce qui nous oppose »
Lundi 6 juin, 18h30. La Maison des associations du XVIIIe arrondissement – flambant neuve – est vide. Seule une dizaine de personnes occupent les lieux. Prof, agent de développement local, fonctionnaire municipal, journaliste…, ils constituent le noyau dur de citoyens qui se retrouvent tous les lundis pour faire du théâtre forum et « débattre des enjeux actuels de notre société ».
La formule, inventée par un Brésilien, consiste à utiliser le théâtre comme outil de transformation sociale : une scène, en général inspirée par des faits réels et à la conclusion souvent négative, relate une situation qui pourra être « transformée » par les spectateurs. Ceux-ci, après avoir vu la scène une première fois, peuvent lors de la reprise, interrompre l’action et prendre la place de l’un des personnages. Objectif : influer sur le cours de l’histoire, proposer des alternatives…
Un atelier militant
Aujourd’hui, la séance est animée par Jean-René Jalenques, comédien intervenant de la compagnie Arc en ciel en charge de cet atelier. « C’est un atelier militant, mais qui propose un autre type de militance que celle pratiquée par les partis ou les associations. Le théâtre forum permet de créer du lien, de travailler sur ce qui nous oppose », explique le comédien.
Le thème varie selon l’humeur et les préoccupations des participants. En ce lundi, la citoyenneté est à l’honneur. Mais, avant de se pencher sur la thématique du jour, le groupe s’adonne à des petits jeux. Ainsi, chaque personne marche dans la salle puis au top donné par l’animateur doit se retrouver à égale distance de deux autres participants préalablement choisis. Le groupe parviendra-t-il à trouver son équilibre dans le respect de la règle ? « Pour y parvenir, il faut que chacun admette une marge d’erreur », commente Thierry. Jean-René rebondit : « c’est à l’image de la société, pour qu’elle fonctionne, il faut que chacun fasse des compromis ». La phrase ne lancera pas de débat. L’ambiance est joviale et bon enfant… Durant les jeux, ça court, ça se chamaille, ça rit…
Après plusieurs exercices de ce type, le groupe se divise en deux, chacun devant inventer une « maquette », une situation mettant en jeu la citoyenneté. Le premier groupe présente une scène située dans un conseil de quartier. Un élu anime la réunion. Une femme, sans-papiers et nounou bien connue dans le quartier, rejoint l’assemblée pour évoquer la question de la voirie. Des conseillers s’insurgent contre sa présence, lui dénigrant le droit de participer à la réunion puisque non citoyenne de ce pays. L’élu de la maquette laisse faire. Il est remplacé par un participant, plus enclin à défendre son ordre du jour et à ne pas laisser le débat s’installer sur cette question. A nouveau, un autre participant prend place dans la scène pour le contrer…
La situation de départ évolue au fur et à mesure des interventions. Chacun s’interroge sur la légalité d’une telle présence, sur la marge de manœuvre de l’élu, sur la définition du statut de citoyen… L’objectif étant de travailler sur chaque intervention pour mettre en jeu leurs conséquences, leur crédibilité dans la vraie vie, etc.
Autre groupe, autre scène. Un militant vient informer des citoyens que le parc dans lequel ils promènent leurs enfants, jouent aux boules, etc. va être transformé en parking. Comment s’y prend-il pour les convaincre d’agir ? Comment faire face aux arguments d’ordre économique que lui oppose un commerçant, soucieux de rendre sa ville plus facile d’accès ? etc. Il est déjà 21 heures. La scène provoquera peu d’interventions.
Du lien inter-associatif
Le groupe se sépare en se donnant rendez-vous le lundi suivant. La Maison des associations est toujours vide. A l’entrée, des boîtes aux lettres rutilantes témoignent de la présence dans les lieux de 80 organisations (Mrap 17è et 18è, Les Amis de Barbara, E-génération, etc.). « Pour les associations, cet endroit est avant tout un espace ressources, commente Jean-René Jalenques. Il n’y a pas de lien inter-associatif, à l’image de ces boîtes aux lettres posées les unes à coté des autres. Nous avions proposé d’organiser un atelier pour qu’elles se rencontrent : elles ont sûrement des choses à se dire… ». L’idée n’a pas été retenue…