Le chinese dream et son stalinien chinois
Curieux empire que la Chine qui tout en vendant à l’extérieur la grandeur de sa civilisation prestigieuse et lointaine passe son temps à l’effacer.
Aucun pays au monde n’a détruit son patrimoine comme la Chine, explique Anne Cheng, sinologue et professeur au Collège de France. « Aujourd’hui, on assiste à une « Disneylandisation » du pays. En même temps que l’on reconstruit des temples en ciment, on réinvente une mythologie…/…Tout devient mythique. Le passé est un âge d’or, l’avenir, une science-fiction » (Itw. Science et Avenir. 25.1.2021). L’intention étant, en s’appuyant sur le récit impérial de l’unité nationale, de préserver le pays des divisions ethniques et sociales. Le régime en place qui bétonne une identité mythique par l’affichage de sa prospérité, oublie que les nations qui vantent artificiellement leur unité ne font pas long feu. La Chine d’aujourd’hui se maintient pour l’essentiel par l’illusion assez convaincante de sa supériorité sur les démocraties instables de l’Occident et l’ignorance qu’ont les nouvelles générations de l’histoire de leur pays. La révolution culturelle, les massacres de Mao, Tien An Men, connais pas ! A force de réprimer toute velléité de savoir et d’expression, l’empereur stalinien de Chine a réduit toute capacité créative.
Le culte de la personnalité
C’est parce que les nuages s’amoncellent que le dragon chinois serre les rangs autour du culte de la personnalité de Xi Jinping. Aucun leader au monde ne semble rivaliser d’autorité avec le leader du parti communiste. La vile ignorance de l’ex-président Donald Trump, les pitreries foutraques de Boris Johnson, la pusillanimité des chefs de gouvernement européens, et le mutisme cauteleux de Vladimir Poutine, occupé à jouer sa carte en Syrie et en Libye, tous sont disqualifiés face à la volonté de puissance des maîtres de l’Empire du milieu. Le sphinx de Pékin concentre plus de pouvoirs que n’en a jamais eus un leader chinois depuis Mao Tse Toung. Il a notamment vigoureusement consolidé l’emprise du Parti communiste sur la vie des affaires et fait la chasse aux milliardaires qui le gênent.
Son ère tranche nettement avec la période d’ouverture à l’Occident des années Deng Xiaoping. Révolu le temps des réformes et de l’autoritarisme consultatif des Zhao Ziyang et Hu Jintao (2002-2012). Sur le plan politique, le régime est dominé par un capitalisme d’Etat, qui absorbe près de la moitié du PIB, générant de l’injustice et de la corruption. Le régime communiste épuise ses ressources, réprime les libertés fondamentales pourtant indispensables au progrès des pays et maintient le pays sous surveillance, un système construit sur la peur, dont Taiwan, après Hong Kong et le Tibet, risque de faire les frais. Xi Jinping n’a-t-il pas rappelé le « principe d’une seule Chine », proclamé quatre décennies plus tôt à l’égard de Taïwan. La crise de Hong Kong, la répression des minorités (Ouïghours, Tibétains, Mongols…), les disparitions et les peines capitales prononcés contre les oligarques accusés de trahison ou corruption, l’offensive contre les ONG, les minorités religieuses, une cyber-surveillance orwellienne, la lutte contre « la pollution spirituelle étrangère », le contrôle sur l’enseignement et sur le débat public, la fuite des cerveaux, le bilan humain est tristement élevé. Des signes « faibles » ne laissent de faire réfléchir sur l’équilibre moral, social et économique du système. 2/3 des condamnations à mort sur terre sont exécutées dans l’Empire céleste.
Appliquant un contrôle rigoureux de la société et un pouvoir personnel sans limites, Xi JinPing ne cache pas ses ambitions : devenir le maître du monde. Mais en affichant la menace, il ne prend plus la peine de cacher son jeu. « Le risque est que la Chine développe une sorte de plouto-communisme, avec une concentration de la propriété privée plus forte que dans les pays capitalistes, le tout tenu par un Parti communiste unique » signale l’économiste Thomas Piketty. Sans liberté de conscience, sans propriété privée, sans liberté d’expression et sans liberté d’innovation, il ne peut pas y avoir de développement harmonieux d’une Chine qui serait exemplaire. Comme tous les dictateurs sûrs d’eux et protégés par leur entourage, Xi JinPing perd conscience de la véritable situation de son pays. Il se maintient au pouvoir avec des méthodes staliniennes plus que maoïstes, en imposant un ensemble de sanctions sévères permettant de s’assurer la loyauté des citoyens. Un de ses modèles : Han Fei (279 ?-233 av. J.-C.), le fondateur de l’école légaliste qui a théorisé la loi comme moyen de brider les sujets.
Comment dans un pays où la démocratie est absente, où il n’y a pas de possibilité de débat, ni de discussion contradictoire, les esprits peuvent-ils s’éclairer? Bref, la fière assurance de Xi JinPing et son intelligence des situations paraissent avoir des limites. Le système a ses failles. Malgré le contrôle des sites internet par l’état, et la surveillance des forums de discussions, des blogs et des médias sociaux, les internautes citoyens chinois parviennent régulièrement à surmonter la censure.
Le rêve chinois n’existe pas
Et si le mythe de la supériorité chinoise faisait long feu ? Après que l’opinion mondiale ait été longtemps subjuguée par les succès commerciaux revendiqués par la Chine, il pourrait paraître surprenant de douter de sa victoire finale sur l’échiquier international. Et pourtant, la question mérite d’être posée.
Voyons les choses en face : il n’y a pas de « chinese dream » comme il y a eu un « american dream ». Le rêve chinois, ce slogan politique lancé en 2013 par Xi JinPing, en écho au rêve américain, paraît insipide au regard de la vie en Chine. Pour une simple raison : la Chine ne pense ni le progrès ni la fin de l’histoire. Ce qui a longtemps caractérisé la Chine par rapport à l’Occident, c’est évidemment son extériorité civilisationnelle à l’égard de nos valeurs.
A première vue, l’idéal communiste semble s’accorder aux standards de la communication et de la consommation capitaliste, il est cependant freiné par son appareil idéologique et son corsetage administratif. Depuis 70 ans, la Chine alterne ouverture et fermeture, cette fois-ci, le pays se trouve dans un état de fermeture. Le paradoxe est que son communisme figé ne peut s’accorder plus longtemps avec un capitalisme dont elle veut porter le flambeau mondial mais dont elle refuse les règles. Par manque de clairvoyance dans le jeu des relations internationales, la Chine laisse passer la chance que lui promettait la stratégie militaire de contournement. . Emportée par son volontarisme, la Chine perd peu à peu pied avec ce passé du temps des arts de la guerre et de l’intelligence des situations pour ne garder que son empreinte communiste. Bye bye Confucius. L’esprit de conquête, avec la passion d’être « premier mondial » risque de ne plus voir en Confucius, qu’une icône du passé.
L’impérialisme mercantile signe en quelque sorte sa possible déchéance. Parce qu’elle n’est plus dans la continuité confucéenne mais bien dans la concurrence capitaliste, dans la croissance perpétuelle des objets factices, la pensée chinoise connaît une crise de civilisation. Peu à peu, le pouvoir de Pékin utilise les mêmes armes que ses adversaires. Il abandonne ses classiques. Les nouveaux ambassadeurs de Chine ne sont plus de fins diplomates qui écoutent et agissent au moment opportun. Ils sont devenus des seigneurs de la guerre – on les appelle « les loups combattants » – qui provoquent et pratiquent l’intimidation avec qui n’est pas d’accord. Le pouvoir n’est plus aujourd’hui dans l’oblique, mais dans la rivalité, le face à face nationaliste et agressif. Il semble désormais penser qu’il n’est plus dans le temps long, mais dans le temps immédiat. Cette inflexion stratégique, qui le fait endosser le costume du prédateur et délaisser l’habit de la patience, risque de lui faire perdre sa sagesse et la stabilité de sa puissance. Aussi bien, le prédateur chinois semble-t-il oublier la roue qui tourne. Il n’a plus le temps. A force de vouloir dominer, à tout prix, utilisant les armes frontales des conquérants et des libéraux, le Dragon devenu impatient et enrichi ne veut plus attendre. Après avoir été lent et mesuré, sur la défensive, n’est-il pas en train d’aller trop vite ?
La poussée fulgurante de la Chine qui, en quelques décennies, est passée du Moyen Âge à l’hyper-modernité est trop rapide peut-être pour un pays qui a l’habitude de la patience et de la durée. Mobile au plan économique et si immobile au plan des mentalités. Trop rapide, il a raté l’occasion de prolonger l’esprit de réforme de Deng Tsio Ping. La Chine ne sait plus s’arrêter et pèche par excès de confiance. Cette fuite en avant dans l’excès est en passe de compromettre l’ordre du « milieu » chinois. La fable du paysan Song raconté par le philosophe moraliste Mencius (Ve siècle av J.C) est éloquente. Pour faciliter la croissance de ses légumes, ce dernier tirait sur les pousses de son potager. A force de tirer, les cultures ont été dévastées. Mencius conclut de cette histoire quelques erreurs à éviter : celle de forcer sans tenir compte du processus en cours ; celle de négliger de défricher les mauvaises herbes pour garantir la fertilisation des plantes, celle de laisser faire le temps tout en intervenant à bon escient. Leçon de sagesse oubliée par la direction chinoise au moment précis où la voie est ouverte par la bouffonnerie du président américain, comme si les deux empires s’entendaient pour conjuguer leur déclin fautif dans un numéro de grimace à Washington et de masque à Pékin.
L’ impatience capricieuse ruine les plus grands projets
Parce qu’elle voit grand et qu’elle installe sa présence sur plusieurs continents, la Chine suscite une méfiance accrue dans le monde. Elle fait peur. Taïwan, Hong Kong, ne sont plus les seuls à s’effrayer. L’Australie, le Japon, le Viet Nam et d’autres pays s’inquiètent des velléités impérialistes. Les litiges territoriaux en mer de Chine sont fréquents. Les sous-marins achetés par Canberra à la France s’inscrivent dans cette volonté de résister à la pression du grand voisin. A l’évidence le modèle chinois ne réussit pas à créer l’idée d’un rêve de société, comme il y a eu un rêve américain. Et déjà, le charme est rompu avec les partenaires commerciaux sous la coupe de Pékin. La perception de la menace a remplacé la fascination. Les partenaires commencent à s’interroger : les contrats seront-ils tenus, les normes respectées ? Le Nigéria, principale forte chinoise en Afrique réclame 200 milliards de dollars de dédommagement à cause des dommages et des pertes humaines subies à l’occasion de la pandémie. Bref, le tableau est loin d’être brillant.
Les laudateurs du miracle chinois sont peut-être en train de revoir leurs copies. Peut-être la Chine est elle en train de devenir première économie du monde mais saura-t-elle garder ce titre, sachant qu’elle n’aura plus personne à copier? Trop confiante en sa force, elle sous-estime ses adversaires. Si le déclin de l’empire US est amorcé, son ultralibéralisme est loin d’être mort. Business as usual. Le nouveau président US Joe Biden est prêt à retrousser les manches. Face aux menaces chinoises, il est temps d’assumer ses responsabilités font entendre quelques chefs de gouvernement (Angela Merkel, Emmanuel Macron). « Une impatience capricieuse ruine les plus grands projets » dit la leçon de Confucius. Le régime de Xi JinPing semble oublier ce conseil du vieux sage dont pourtant il se réclame et qu’il a contribué à réhabiliter. Son aventurisme politique pourrait signer son écroulement. En général, lorsqu’ils parviennent à un certain niveau de compétitivité, les pays qui associent capitalisme et communisme doivent, pour poursuivre leur développement, accorder des libertés individuelles et intégrer une vision plus ouverte du futur. La mutation globale du pays dépend de la stabilité mondiale à long terme. L’harmonie sociale est une condition première à la stabilité. Gérer une population massive n’est pas une sinécure. Mais ce sont des raisons négatives, liées à leur histoire, le sentiment d’humiliation, la pauvreté et aujourd’hui le nationalisme, qui ont porté le dynamisme chinois, rappelle François Jullien. « Il leur faut désormais trouver des raisons positives pour tenir la place hégémonique à laquelle ils tendent. Or il est plus facile de suivre, d’être second, que d’être leader. Pour être leader, il faut modéliser : faire un plan pour mobiliser les volontés, ce qui ne va pas sans démocratie » soutient ce dernier.
Ainsi va l’Empire du Milieu, où la modernité la plus débridée coexiste avec les méthodes et mentalités les plus archaïques. L’abolition du temps se produit par la projection de l’homme archaïque dans le temps mythique des êtres exemplaires. Ces sociétés traditionnelles supportent mal l’histoire. Leur mémoire est anhistorique. Depuis le dernier siècle (le XXème) plusieurs d’entre elles sont rapidement entrés et on évolué dans un monde historique dans lequel les contradictions internes amènent à se poser d’importantes questions sur leur avenir et, partant, sur l’avenir du monde. Ainsi peut se lire le paradoxe chinois, une société marquée par de nombreux archaïsmes, empreinte des technologies sophistiquées, dirigées par un parti autoritaire, sous le ciel implacable du capitalisme mondial, mais hors du monde hégélien de l’histoire. Soit une société absolutiste, hypermoderne et totalitaire. Pour triompher, il faut marcher sur ses deux jambes », comme disait le président Mao Tse Toung c’est-à-dire à avancer la jambe occidentale de la nouvelle révolution technique tout en gardant appui sur l’autre, la jambe des traditions, des archaïsmes et des mythes. Le juste milieu du sage chinois, c’est de pouvoir faire aussi bien l’un que l’autre, en restant également ouvert aux extrêmes (c’est dans cet « égal » qu’est le « milieu »).
Ainsi va le totalitarisme high tech chinois où l’on enseigne aux masses l’adoration de la « Nouvelle Révolution technique », tout en muselant les libertés qu’elles procurent. La lecture de Mircéa Eliade nous apprend qu’il y a un paradoxe des hommes des sociétés encore marquées par les traditions : ils ne se voient comme véritablement eux-mêmes que quand ils cessent d’être eux-mêmes. Ils se reconnaissent comme réels que dans la mesure où ils imitent et copient les autres. Ce faisant, leur temps devient immobile. Le monde traditionnel du temps immobile où tout se répète est totalitaire.
La bataille de la mer de Chine a commencé
Dans son essai « Vers la guerre, la Chine et l’Amérique dans le piège de Thucydide ? » (Odile Jacob, 2019), Graham Allison, de l’université d’Harvard, se penche sur seize rivalités historiques entre une puissance émergente et une autre bien établie, et révèle que douze de ces oppositions ont mené à la guerre. Un moment de vérité est en train de se décider. Le paysage mondial pourrait être bouleversé par l’attitude agressive de la Chine à l’égard de Taïwan et du vent de liberté venant de Hong Kong. « Imaginez, écrit Graham Allison, que Pékin décide d’écraser militairement, comme il l’a fait Place Tiananmen, une nouvelle révolte d’étudiants à Hong Kong. Parmi les 32 millions d’habitants de Taïwan, où le sentiment de solidarité est profond, l’émotion serait intense. Dans tout le pays, on entendrait monter un appel populaire à fermer nettement toute perspective de rattachement à la Chine communiste. Et à proclamer l’indépendance de l’île. Pour manifester son soutien à Taïwan, imaginons que le président des Etats-Unis rappelle qu’en vertu du Taiwan relations Act de 1979, son pays est tenu de défendre Taïwan contre une invasion ». Un scénario difficile à imaginer, mais pourtant pris en compte par les stratèges internationaux.
Quand un pays ne dispose plus des ressources indispensables à son développement, il va les chercher à en dehors, par le commerce ou bien, lorsqu’il se sent en danger, par la guerre aux pays environnants, afin de s’approprier leurs richesses. Exemple : les nouvelles routes de la soie : un moyen de faire main basse sur l’Eurasie, et les investissements en Afrique, le moyen de s’approprier les ressources. La question est de savoir comment le moment venu, Pékin est à même de mobiliser tout un peuple et capable militairement de se lancer dans un conflit mondial qui impliquerait l’Inde, le Japon, le Viet Nam et par effet d’alliances, d’autres grandes puissances. Son lien avec la Russie, seconde puissance militaire mondiale, mais faible économiquement – elle a le même PIB que l’Espagne – permettrait à la Chine, puissance industrielle, de se rapprocher du but : devenir le maître du monde ! Cette option n’est pas à l’ordre du jour même si des discussions internationales abordent ce sujet. Une chose est sûre, les communistes chinois ne doutent de rien. Dans la pensée chinoise, douter c’est déjà ne plus être en phase avec le cours des choses.